DOIGT (LE)
Chaque retrouvaille avec ce Suisse désordonné est un bonheur. Le doigt ! Il le met sur les choses fragiles, il le pointe sur les interdits, les abus, les débordements, les « dysfonctionnements » comme on dit quand on parle politique et social. Il se le colle sur la tempe aussi, l’air de dire « ne me prenez quand même pas pour un con ». Il le lève comme pour prendre la parole, mais de toute façon il la prend. Son doigt prend le frais autant que sa langue qui n’habite point sa poche. Romanens, c’est l’air des montagnes qui daigne descendre jusqu’au sein de la ville et ça souffle, ça soulève les jupes des vieilles bigotes, ça emporte les chapeaux des bien-pensants, ça vrille les oreilles des hypocrites. Poète du quotidien, chasseur du bon temps, amoureux, fragile, grande gueule qui se montre du doigt pour ne pas qu’on le prenne trop au sérieux, ce chanteur habile sait écrire, habiller ses chansons de petites musiques pop, folk, rock, hors du temps… mais il est aussi capable de s’entourer des meilleurs copains, Sarclo en tête et Kent juste derrière. « Se coller au premier comptoir pour commander un miracle » qui n’a jamais fait ça ? Ce disque est un hymne d’amour, de recherche d’un certain bonheur, cette chose improbable qu’on ne trouve sous le sabot d’aucun cheval. Mais Romanens semble savoir qu’il est peut-être d’autres sabots à soulever. Et le tout de swinguer, de cahoter comme la vie sur les pavés, de rouler comme une langue autour d’une autre, de couler comme un fleuve pas si tranquille. Écouter Romanens, c’est le faire entrer chez soi à tout jamais, voire à toujours… Alors écoutez-le toutes affaires cessantes.
ÉB