Voici le premier CD d’un jeune saxophoniste (alto) qui met beaucoup d’atouts dans son jeu. Il s’est immergé aux multiples sources de la transmission des héritages jazz.
Sources formelles dans l’écolage et la transmission, en Académie et Conservatoire, en fréquentant les cours de Nathalie Loriers, Fabien Degryse, Steve Houben, Garret List, Bo Van Der Werf… Sources vives et découlant des itinéraires personnels d’un auditeur, scrutant les savoir-faire des grands défricheurs et inventeurs de langage. Il produit une écriture jazz très stricte, précise, aux phrases claires et intenses, fixées à la virgule/syncope près. Rayonnant d’un éclat tonique et entêtant qui évoque Ornette Coleman (en plus sage). Son trio sax-basse-batterie, dans cette architecture ouvragée, cultive la dynamique aérienne des nuages qui dérivent, avec une belle force. Ce jazz n’est pas un simple revival qui cherche à reproduire ce qui a été fait. Tout ce qu’il a appris sur le jazz, Thomas Champagne le rassemble pour alimenter sa quête d’un jazz vif. C’est probablement ainsi qu’il faut interpréter le titre « Charon’s Boat » : sa musique, son style, sa manière de se singulariser dans le jazz constituent un fluide qui transporte les ombres en manque d’âme d’aujourd’hui vers le séjour des morts, toujours vivants dans leurs inventions immortelles, au contact desquels on s’individue en se construisant une âme et qu’il donne à entendre, par évocations subtiles, dans la palette aux couleurs complexes et expressives de ses thèmes. Thomas Champagne, une belle promesse.

Pierre Hemptinne