SENSITIVE / LETHAL
« Toute action entraîne une réaction ». Presque un aphorisme. Pour Thurston Moore (haut pilier de Sonic Youth pour les traits en gras de sa carte de visite), c’est pratiquement un principe de vie, un axiome central de son travail de rocker bruitiste ou d’improvisateur chevronné. En 2007, sur son second disque « grand public » sous sa propre enseigne (« Trees Outside The Academy ») la guitare acoustique se plaçait à l’avant-plan des lignes de front sonore comme jamais auparavant. L’Américain semblait si satisfait de sa nouvelle (?) orientation qu’il en laissait presque tomber le (nom) Moore. Pour cette plaque, quasi-vierge d’indications (date d’enregistrement ? Intervenants ?) et répartie en trois temps inégaux (2 longues pièces séparées par une brève) pour une durée excédant les 50 minutes, une guitare acoustique monomaniaque ou une boucle reproduisant à l’infini un unique et obstiné accord, est au cœur d’un geyser «soniquement» éruptif d’où montent gerbes d’accords distordus et larsens électroniquement appuyés. Le foisonnement de grésils arrachés avec une précision chirurgicale presque maladive à un instrument violenté dans son intégrité physique profonde afin d’en extraire la substantifique moelle, laisse aisément deviner le sale quart d’heure qu’il vient de traverser: opéré à plat et à froid, ré-accordé et/ou amélioré à l’aide de l’arsenal commun offert par une boite à outils lambda, frotté, raclé, retourné dans toutes les positions mais aussi contre l’ampli, placé sous un baxter de pédales d’effets, ou simplement réduit à la basique fonction de caisse de résonance quand ce n’est à celle de gourdin assourdissant…
Proche du format pop par son timing réduit, l’intermédiaire « Whisper » est un oscilloscope constitué deux mouvements inégaux (un râle principal dissonant et tourbillonnant accompagné d’un second, discret et aléatoire, discontinu et éclaté dans ses fluctuations) qui mène tout droit à une pièce de résistance, le bien nommé « Lethal ».
26 minutes de pure digression bruitiste arc-boutées à un flux continu né de l’étirement jusqu’à la douleur d’un « twweeeet » obstiné et intraitable autour duquel Thurston Moore, tel un (petit) dieu des vents sonores mauvais fait souffler et alterner sur son jardin de notes et d’accords balafrés, bourrasques folles et bise tenace, courte brise d’un apaisement trompeur et 40e rugissants, avec une maîtrise qui inclut la prise en compte des effets du hasard.
Exténuant mais somme toute en conformité de la carrière « bis » de cet attachant grand bonhomme.
Yannick Hustache