TIMELESS
Jusque-là focalisée sur les clubs, c’était une musique qui se diffusait avant tout sous forme de singles, de 12-inch comportant deux morceaux maximum suivis d’une série de variations, de remixes ou de versions alternatives. Comme d’autres genres musicaux auparavant, il lui fallut passer par une période où le disque était tout au plus une compilation de morceaux isolés, quelquefois sous forme de mixtape dans le cas de la drum’n bass, pour arriver à des albums unifiés autour d’un même concept, d’une même atmosphère, comme Miles Davis le fera par exemple pour le jazz, ou comme Pet Sounds des Beach Boys le sera pour le rock. C’est ce passage qui fera rentrer la drum’n bass dans les foyers, avec des albums écoutables dans un fauteuil, chez soi, hors-piste, comme Black Secret Technology de A Guy Called Gerald, New Forms de Reprazent, ou ce Timeless de Goldie.
Pour le réaliser, Goldie s’est entouré du producteur Rob Playford (patron du label Moving Shadow), qui cosigne la plupart des morceaux, de Dego et Marc Mac (de 4hero), et de Diane Charlemagne dont les vocaux feront beaucoup pour le succès du disque. Avec des plages aux intros planantes volontairement allongées, faisant la part belle aux climats, avec ses atmosphères paradoxalement à la fois urbaines et aériennes, c’est un double album très cinématographique, dont la pièce maitresse est une suite épique de trois morceaux de 21’3’’, qui donne son titre au disque (« Inner City Life » / « Pressure » / « Jah »). Portée par la voix de Charlemagne, flottant sur des nappes de synthétiseurs luxuriantes, c’est une suite tourbillonnante, passant de l’angélique à la noirceur en quelques instants, alternant moments de grâce et moments d’effroi.
Pour son premier album à proprement parler, Goldie a voulu retracer sa propre vie, de l’enfance à vingt-neuf ans, en passant par la grande époque des raves au début des années 1990, les années ecstasy et leurs lendemains douloureux, une période tout à la fois euphorique et psychotique. Timeless a établi une nouvelle frontière pour la jungle et la drum’n bass, traçant la voie vers un style aux compositions plus fouillées, aux structures plus musicales que rythmiques, s’éloignant progressivement du style old school hardcore des débuts. Il sera toutefois autant acclamé par les partisans de cette forme d’intelligent drum’n bass (un terme excessivement vilain) que par les futurs radicaux du techstep.
Benoit Deuxant