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Pointculture_cms | critique

OMBROPHILIA

publié le

Une grande part de la difficulté de la musique expérimentale, pour celui ou celle qui la pratique, consiste à trouver sa voie, une voie qui soit sinon unique, du moins personnelle. Non qu’il s’agisse simplement de se distinguer des autres artistes par […]

 

Une grande part de la difficulté de la musique expérimentale, pour celui ou celle qui la pratique, consiste à trouver sa voie, une voie qui soit sinon unique, du moins personnelle. Non qu’il s’agisse simplement de se distinguer des autres artistes par un gimmick, un « truc » qui semble original, mais parce que c’est le principe même de cette musique que d’être perpétuellement en quête de nouvelles voies, de nouvelles sonorités, de nouvelles formes de jeu. Pour beaucoup de musiciens, trouver son instrument constitue ainsi la partie la plus difficile du travail artistique. La rencontre avec l’instrument peut alors devenir une révélation, l’illumination qui détermine une vie.

 

tsCe fut le cas de Tomoko Sauvage lorsqu’elle découvrit le jalatharangam lors d’un concert à la cité de la musique à Paris. Aanayampatti Ganesan, héritier d’une longue lignée de musicien pratiquant cette discipline, y venait interpréter un récital exceptionnel sur cet instrument indien rare, constitué d’une série de bols de porcelaine, remplis d’eau à hauteur variable, et joué avec des baguettes de bambou. Le son qui en résulte évoque tantôt le xylophone tantôt le gamelan, et la fluidité de l’eau permet des variations subtiles, des modulations particulières que le jalatharangam est seul à permettre. Son charme est d’être extrêmement facile à construire - puisqu’il suffit de se procurer quelques bols – et de se prêter à toutes sortes de modifications, de prolongements. Tomoko Sauvage a ainsi remplacé le principe des baguettes de bambou par une série de goutte-à-goutte placés au-dessus des bols, et plongé dans ceux-ci des micros hydrophones captant les ondulations de l’eau et répercutant en les amplifiant les impacts des gouttelettes fracassant la surface. En imprimant un léger roulis au liquide, elle obtient manuellement, de manière naturelle, un effet étonnant de glissement spectral, une surprenante modification de la qualité voyelle du son, ce que nous appellerons plus simplement un effet wah-wah. Dispositif à fois virtuose et désarmant de simplicité, il a la beauté des choses élémentaires, des choses premières, et évoque une fascination quasi enfantine pour le son de l'eau sous toutes ses formes, la pluie, les vagues, le ressac. Par delà son homogénéité extrême - de l’eau frappant de l’eau - l’instrument suggère d’autres associations d’idée : certains morceaux rappellent ainsi le gamelan, le carillon, les bols tibétains, ou encore le glass-harmonica de Benjamin Franklin. La musique qu’en tire Tomoko Sauvage, calme et méditative, appelant, sans jeu de mot, une forme d’immersion, suscite également le souvenir d’autres expériences. Le balancement régulier de l’eau, le clapotis des gouttes, les résonances légèrement assourdies captées par les hydrophones, se fondent en un paysage sonore à la fois étrange et familier. Il nous replonge dans des situations où notre perception du monde est modifiée, filtrée, par l’élément aquatique. Celles-ci sont parfois prosaïques, mais peuvent être aussi plus profondes. Les titres choisis par la musicienne pour ces morceaux sont ainsi parlant, ils vont du simple « Raindrop Exercise » («exercice aux gouttes de pluie») à « Amniotic Life » (« la vie amniotique »).

 

Benoit Deuxant

 

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