MOTHER'S DAUGHTER AND OTHER SONGS
C'est un disque de bois vert, en dix chansons chaleureusement calmes et « simples »,
axées sur quelques accords de guitare acoustique et de banjo, détenant
bien plus qu'un bout de ficelle de mélodie.
La voix masculine douce n'est qu'un des nombreux attraits de cet album. Une
voix rappelant un peu l'intonation double de Simon & Garfunkel. La comparaison
s'arrête là : pas d'angélisme, pas de sentimentalité
exacerbée. Juste une voix onctueuse dont on se régale. Des paroles
bien écrites.
Notre duo, encore un, s'appelle Tunng et provient semble-t-il d'Angleterre.
Leur disque enregistré à Londres aurait pu être le trois-centième
d'un genre usé jusqu'à la corde (de guitare acoustique évidemment) :
la « ballade folk » ou même, d'un genre plus récent,
le « folktronica ». Mais dans ce monde ultra prolifique
qui, depuis Nick Drake a été réanimé bien des fois,
monde auquel se rallient aujourd'hui pas mal d'électroniciens essoufflés,
il y a encore et même souvent des perles.
Mother's Daughter and Other Songs en est une ! Un album qui débute
par une petite espièglerie, un léger « pince-moi, fais-moi
rire » dont le disque est en fait parsemé. Un chapelet de
pétarades rythmiques légères qui accompagnent joyeusement
ces mélodies vocales et instrumentales.
La plage 7, Kinky Vans , c'est un peu l'inverse : une jolie
débauche d'electronica organique fleurie de motifs acoustiques. On me
dira, c'est le propre de ces dizaines de groupes d'user de tics électroniques
pour vitaliser leurs chansons amorphes ou boiteuses. Rien à voir, ou
presque. Ici le duo amène de véritables chansons, fortes de leur
tendresse, si bien balancées qu'on pourrait les emmener sur la route
sans rien d'autre que la voix et une guitare en bois.
Après dix écoutes je suis étonné, charmé
par la noblesse musicale et la force tranquille de cet album harmonieux. Des
arrangements sobres ou complexes, plaçant drôlement bien le son
juste, le bon sample, la corde sensible ou la chiquenaude au creux de la gratte
acoustique.
Un disque qui ne rassasie pas en une fois, mais touchera tant l'amateur de son
que le collectionneur de chansons. Regardez la pochette, une nature vivante
aux éléments intimement liés et distincts à la fois,
émergeant d'un fond neutre.
(Pierre-Charles Offergeld, Liège)
Nous prêtons aussi des… BOOKS !
THE BOOKS :
Les Books aiment les mots. Leurs mots sont musicaux au même titre que
les autres instruments. Dans leur premier album sorti en 2002, Thought for
Food , les mots, les voix, les rires, tous les vocables émanent
d'une insondable collection de samples. Ils sont choisis précisément
et placés afin d'engendrer à chaque fois une dégringolade
d'images sonores au sens voilé ou révélé, ou pour
surprendre par leur drôlerie. Ces samples gardent tout leur impact car
ils ne sont pas surabondants. Ils sont d'autant plus musicaux que les parties
chantées sont inattendues, brèves et sont associées à
d'autres types de prononciation et de langage.
Ce premier album passe beaucoup trop vite ! En 38'38'', sans précipitation,
ni bourrage fatigant, il défile tant d'éléments, de sons,
de brins de mélodie et d'éclats poétiques, que l'on se
trouve un peu éberlué comme Alice au pays des merveilles .
Mais pas de panique, ce n'est pas un de ces albums aux atmosphères enfantines,
electropop, ou - mot qui fait peur - de musique expérimentale.
Non, on est plutôt plongé dans une forme alternative de l'« americana ».
Mais cette étiquette se décolle aussitôt qu'on essaye de
l'imposer.
Et les instruments ? Omniprésence ou alternance de violoncelle,
guitare acoustique, basse, violon et banjo entrecoupés de sons samplés.
Les Books sont un duo. Paul De Jong (d'origine hollandaise) est tombé
dans son violoncelle à l'âge de 5 ans, pour ensuite triturer des
bandes magnétiques dès l'âge de 13 ans. Nick Zammuto a abandonné
sa carrière de chimiste pour chanter et prêter sa voix aux mots.
Il joue principalement de la guitare et détient lui aussi une longue
expérience dans le collectage de sons et leur sculpture.
Il aime enregistrer les ambiances de sa famille et tout particulièrement
le rire de sa mère.
Leur musique est enracinée dans le folk américain, mais les espaces
créés et les atmosphères qui s'en dégagent, défilent
à la façon d'un road movie. Les plages sont vives et les scènes
s'y déroulant ont une profondeur et un relief cinématographiques.
L'étirement et l'introspection acoustique succèdent à des
chansons pleines d'associations dynamiques et de changements de ton et de rythme.
Un duo qui compose avec les instruments du folk et les sons de leur autobiographie,
dans un esprit provocateur pop.
Le deuxième album, Lemon of Pink, est du même tonneau.
Quelques samples ont été pêchés dans la société
japonaise, suite à un voyage. La tonalité rurale américaine
est confirmée et plus affinée. Le violoncelle est d'avantage soumis
aux traitements électroniques. L'album est plus posé, le jeu acoustique
(guitare, banjo) plus développé et les plages sont sucrées
de sons trouvés avec autant d'humour et de finesse. Le langage, parfois
incompréhensible, a toujours cette musicalité.
Un apport de taille est sans aucun doute la participation de la chanteuse à
la voix bluesy : Anne Doerner.
Toujours sur le label Tomlab de Cologne, Lost and Safe paru en 2005,
est assurément un des disques les plus curieux de cette année
(toutes catégories confondues). Musicalement plus complexe que ses prédécesseurs,
il mêle plus intimement électronique, instruments acoustiques et
sons trouvés. Il est plus universel, de la hauteur et même de la
distance ont été prises par rapport au style americana ,
comme un vol en ballon au-dessus et au-delà de cette société
nord-américaine attachante et fêlée.
The Books : Lost and Found est un bond en avant dans
la conception de la chanson. Le langage y est utilisé et perçu
comme nulle part ailleurs. C'est un assemblage de phrases et de mots d'origines
diverses, constituant des textes pleins de sens et de jeux sur la signification.
Le chant fluide de Zammuto s'intercale sans peine dans ce montage romanesque.
Son chant doux et dépersonnalisé ressemble à celui d'un
narrateur au milieu d'une foule de personnages. L'album dans son ensemble se
rapproche parfois des constructions semi-intelligibles d'Agf, cette « poem
producer » originaire de Berlin est (voir
,
,
,
).
Mais en lisant attentivement les paroles rassemblées dans le livret,
on en décrypte petit à petit le sens, les doubles sens et aussi
les non-sens. On croit traverser un livre musical, on réalise un étrange
voyage initiatique rappelant l'ambiance et le ton d'histoires imaginées
par Edgar Allan Poe ou même Rabelais. L'air de rien, ces Books nous abreuvent
de leurs réflexions, poésie, descriptions, témoignages
réels et courts discours surnaturels, par des histoires humoristiques,
entre « science-fiction » linguistique et constat social
dramatique amusant.
(Pierre-Charles Offergeld, Liège)