UN PEU DE NEIGE SALIE
La sortie de cet album et la création deux ans plus tard par Bernhard Günter de son label trente oiseaux ont marqué profondément la musique expérimentale. Dès son premier disque, il établissait une esthétique radicale, en rupture totale avec ce qui l’entourait et testait les limites de ses auditeurs. Alors que l’histoire de la musique avait jusque là été une course au volume, chacun voulant jouer plus fort que ses prédécesseurs et surtout que ses voisins, Günter publiait un disque aux frontières de l’audibles, des sons ténus y apparaissait et disparaissait, sans qu’on soit sûr de les avoir réellement perçus. A la fois excessivement fragile – c’est un disque à écouter toutes fenêtres fermées, sans respirer – et en même temps très fort, presque autoritaire, il demande au public un effort de concentration, presque une soumission au processus. Une partie de son attrait tient dans l’effort demandé pour percevoir les sons et leur attribuer une couleur, une signification. Pour cela Günter les a rendus méconnaissables, dépourvus de tout équivalent dans le monde réel. La signification de ces sons est entièrement à construire, la perception ne peut en être passive, et ils engagent l’auditeur tout entier ? dans la démarche physique de l’écoute, d’abord, et dans le travail mental qui cherche à leur donner un sens, un contenu, à les charger d’affect, de valeur. L’absence volontaire d’explication, de texte d’accompagnement du disque, qui répond à son dénuement sonore, encourage encore à élaborer à partir par exemple du titre, une image de fragilité, une vision de l’éphémère, du transitoire, en phase avec l’esprit du haïku dont il est extrait. Chaque fragment imperceptible, chaque flocon de son semble alors se détacher du silence et réclamer l’attention, demander de l’affection. Et pourtant à travers tous ces efforts, dans un paradoxe que le bouddhiste Bernhard Günter doit apprécier, c’est avant tout l’acte d’écouter qui prend le devant, et la conscience que l’auditeur a, à cet instant, d’être là et d’écouter.
Benoit Deuxant