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Pointculture_cms | critique

"Una mujer fantástica" : une femme fantastique

Una mujer fantastica - Sebastian Lelio
En même temps qu’il révélait une actrice exceptionnelle, l’Oscar du meilleur film étranger accordé à “Une femme fantastique”, deuxième long-métrage du cinéaste chilien Sebastián Lelio, a propulsé Daniela Vega, qui en est l’actrice principale, comme modèle et porte-parole pour les femmes transgenres.

Le film est également la deuxième apparition à l’écran de l’actrice et chanteuse chilienne. Elle avait fait ses débuts en 2014 dans La Visita, de Mauricio López Fernández, film où elle interprétait le rôle d’Elena, une femme transgenre, et qui présentait les premières réactions souvent violentes à l’annonce de sa transition. Daniela Vega avait déjà joué un personnage similaire au théâtre dans La Femme papillon (La Mujer Mariposa, biodrama de una transfiguración), une pièce basée sur sa propre expérience.

Dans ce nouveau film au contraire, le sujet n’est plus la transition, mais la représentation de l’hostilité de la société envers les personnes transgenres est toujours au centre du récit. Celui-ci commence par une tragédie, la mort d’Orlando, l’amant de Marina, le personnage joué par Daniela. Serveuse le jour et chanteuse la nuit, elle vivait depuis peu avec cet homme, plus âgé, issu d’un milieu plus aisé. Le couple avait commencé à faire des projets d’avenir : une vie commune, une lune de miel au bord des chutes d’Iguazú (site à la frontière entre l'Argentine et le Brésil, qui est également la destination du couple dépeint dans Happy Together, le sixième film de Wong Kar-wai). Tout cela sera balayé d’un trait par la mort soudaine d’Orlando.

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Leur relation, jusque-là intime et protégée, devient un sujet d’observation et de scandale pour le monde extérieur, à commencer par la famille d’Orlando, dans laquelle Marina n’a aucune place, et dont son amant s’était pourtant éloigné de son vivant. Contre cette femme, cette chimère comme ils l’appellent, la bonne société, la sainte famille tentera toutes les approches, la conciliation, la négociation et finalement la violence. Chacun à son tour, ex-femme, fils, frère, viendra tenter un dialogue de sourds dont la seule issue possible selon eux est la capitulation de Marina, sa disparition. Ils tenteront tout pour la dissuader et l’empêcher d’apparaître aux funérailles.

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L’autre intervention, tout aussi violente, est celle de la loi, sous la forme de l’enquête policière qui sera menée sur les circonstances du décès d’Orlando, pour lequel Marina est désignée comme suspecte. Depuis le harcèlement bureaucratique causé par la carte d’identité de Marina (la loi chilienne rend très difficile le changement de nom officiel des personnes transgenres) jusqu’à l’examen physique, inutile et intrusif, exigé par l’inspectrice de police, la réaction des autorités est marquée par une curiosité malsaine tout au long des interrogatoires et par une hostilité à peine déguisée.

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La force du film vient en grande partie du choix du réalisateur d’avoir donné le rôle de Marina à une femme transgenre et non à une actrice. Choisie au départ comme consultante sur le film, avant d’en devenir l’héroïne, Daniela Vega a apporté beaucoup de sa propre expérience à l’histoire. Une partie des anecdotes et des insultes vécues par Marina (“Quand je te regarde, je ne sais pas ce que je vois” dira l’ex-femme d’Orlando) est tirée de ses souvenirs. Le personnage de Marina ne se présente pas du tout comme une activiste. Elle évolue dans une vie discrète, avec une certaine sophistication, et une certaine résilience face aux obstacles qui se dressent devant elle. Daniela Vega en a fait, grâce à cela, un rôle militant, qui pose avant tout de nombreuses questions sur la société (pas seulement la société chilienne) et sa relation au genre, son intervention dans l’intimité des gens, son regard sur les corps, sur les relations.

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Dans une interview pour le Guardian, l’actrice explique sa vision du casting des rôles de personnages transgenres au cinéma :

J’ai deux perceptions différentes. En tant qu’actrice, cela ne me dérange pas qu’un acteur cisgenre joue une personne transgenre. Mais en tant que femme transgenre, je pense que trop souvent nous n’avons pas l’occasion de montrer tout ce que nous sommes capables de faire. — Daniela Vega

Elle-même a renversé la tendance en jouant un rôle féminin dans son prochain film Un domingo de julio en Santiago, réalisé par Visnu et Gopal Ibarra.


Benoit Deuxant

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