#Migrer : Une histoire de blessure
Deuxième volet d’un triptyque dit « des temps modernes » (après Paria et avant La Question humaine), La Blessure garde le caractère immédiat et dépouillé qui avait fait la réussite de son devancier. La mise en scène, minimaliste et clinique, laisse au propos l’espace nécessaire à son développement et souligne avec force – si besoin en est – le sérieux et l’âpreté du sujet. Peu d’effets de style, seuls quelques jeux de lumières, subtils et diffus, appuient certains plans. La matière se suffit à elle-même, tout est dans le cadre, ne dépassent que l’inconnu et l’espoir, qui semble déjà bien loin.
Fruit d’un travail de documentation et d’entretiens de plus de deux ans (entrepris en collaboration étroite avec sa scénariste attitrée Elisabeth Perceval), La Blessure choisit l’approche documentaire pour s’attarder sur ce véritable problème sociétal et humain (celui des demandeurs d’asile), sans manichéisme ni colère aveuglante. Nicolas Klotz a fait appel à des comédiens non professionnels, voire à d’anciens demandeurs d’asile, pour ce projet qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Pasolini pour son engagement. À la manière du poète et cinéaste italien, Nicolas Klotz arrive à capturer le spectateur, qu’il induit à une forme de voyeurisme salutaire.
Si cette captation physique et passionnelle du spectateur rythme tout le film, la rigueur documentaire est cependant plus nuancée dans la seconde partie du métrage ; la conception temporelle du récit, plus éthérée encore, induit dès lors l’histoire à la notion d’ennui, à l’abandon de repères émotionnels menant jusqu’à l’effacement de soi. La blessure physique de Blandine s’accroche ainsi à l’âme et révèle alors une forme plus tenace et dommageable que celle infligée à sa jambe.
Peu bavard, ce brûlot sociopolitique révèle ses ambitions aussi frontalement qu’avec à-propos et lucidité. La surdité des autorités en place trouve un écho dans les plans inévitablement fixes et froidement cliniques. Avec ces quelques 2h40 de silences assourdissants on ne peut plus explicites, La Blessure met à nu cette forme de déshumanisation contemporaine qu’est l’exil territorial.
Michaël Avenia