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Pointculture_cms | critique

RUN THICK IN THE NIGHT

publié le

L’un est sur le retour et l’autre enfin sur la voie d’une certaine reconnaissance, mais tous deux martèlent un rock lourd et oppressant dont les lancinants développements et charbonneuses humeurs peuplent les paysages désolés d’un psychédélisme […]

 

L’un est sur le retour et l’autre enfin sur la voie d’une certaine reconnaissance, mais tous deux martèlent un rock lourd et oppressant dont les lancinants développements et charbonneuses humeurs peuplent les paysages désolés d’un psychédélisme insomniaque et vertigineusement abyssal.

 

swOn a coutume de dire que les chats disposent de 9 vies. On ne connaît rien de pareil à propos des cygnes (même si l’animal occupe une place de choix dans le grand bestiaire animalier des légendes), mais pour Swans (cygne au pluriel en anglais), les multiples épisodes de l’existence du groupe les ont davantage conduits aux abords des tourbillons et rapides, que fait évoluer sur les eaux tranquilles d’un quelconque point d’eau musical artificiel.

Swans est avant tout le projet principal de Michael Gira – mais c’est loin d’être le seul – et ce, même si le groupe a vu défiler bon nombre de participants qui vont et (re)viennent avec une constance presque routinière. Né aux alentours de 1982 en plein geyser no wave (parfaitement résumé par la compile « No New York »), Swans catalyse un rock hyper massif, asphyxiant, et cathartique. Un empilement de riffs (parfois un seul) primitifs sursaturés, répétés jusqu'à la nausée, joués avec une effroyable lenteur sur fond de décors industriels apocalyptiques, desquels s'échappent cris et vociférations à peine articulées de gourou primal. Swans était une sorte de cousin US d'Einstürzende Neubauten qui n'aurait jamais fait l'impasse totale sur les guitares, un prototype « métalloïde » (plus que metal) à la descendance aussi vaste que bigarrée (de l'indus metal de Godflesh –et son prolongement Jesu - à Ministry et au post metal de Neurosis, voire au drone metal de la Sunn O))) family, des inclassables Young Gods aux disjonctés Liars, jusqu’à la country remontée des 16 Horsepower). Au fil des albums, des bourgeons de mélodies finiront par éclore et prendre l'ascendant sur l'attaque sonore frontale, un glissement progressif marqué par l'arrivée de la chanteuse Jarboe, sorte d'alter ego féminin de Michael Gira, au registre vocal (glacé & céleste à la fois) tout aussi saisissant. Plus exposés, les textes qui farfouillent du côté obscur des passions humaines s'installent au cœur de chansons qui laissent une place toujours grandissante aux tonalités acoustiques d'un folk ample aux couleurs automnales. Gira en a alors (pour un temps) fini avec le bruit et après une surprenante reprise - aujourd'hui reniée par son auteur du - « Love Will Tear Us Apart » de Joy Division (1988), fait paraître un album sans saturation électrique aucune, The Burning World (1989) sur une major, tout en s'embarquant dans le 1er de ses multiples projets parallèles (3 plaques de Skin ou World of Skin entre 1987 et 1990). Disque incompris – les fans boudent et les ventes sont mauvaises – qui conduira Michael Gira sur les voies de l'auto-édition (il monte son propre label Young God records). Swans renouera, ensuite, en partie, et jusqu'à sa dissolution en 1996, avec l'électricité dense des guitares. En sont l’éclatant témoignagele double Soundtrack For The Blind, plus une poignée d'albums partagés entre rock post new wave épique et tourbillonnant sous tension (du psychédélisme dark ?) et des complaintes hivernales acoustiques où se mêlent parfois field recordings et bidouillages electro ambient.

Un héritage riche d’une bonne vingtaine de plaques (albums studio, enregistrements live, compiles, EP…) que Gira rééditera petit à petit sur Young God Records où paraissent ses nombreux travaux post Swans. L’homme n’a pas le temps de s’ennuyer, car en plus de ses propres travaux musicaux en solo (Drainland…) ou écrits (La Bouche de Francis Bacon en VF), de ses essais expérimentaux (le «dronesque» Body Hater/Body Lover), l’Américain s’investit dans une nouvelle mouture de groupe (The Angels Of Light), dont il est le centre (et sans Jarboe) et qui sonne un peu comme une version « adulte » (plus apaisée et davantage acoustique) des Swans, et enfin chapeaute quelques artistes/groupes amis dont il fait paraître des disques (Winsor For The Derby, Lisa Germano), et donne aussi sa chance à quelques (ex) illustres inconnus : Akron/Family ou… Devendra Banhart

Lorsque sort en 2010 My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky, premier album des Swans en 16 ans, on n’est qu’à demi étonné. Certes Jarboe n’est pas de la partie (Gira et elle semblent fâchés pour l’éternité), mais le grand nombre de collaborateurs passés (dont le régulier Norman Westberg) au menu invalide l’hypothèse d’un retour uniquement motivé par le tiroir-caisse. Propulsés en 2010, les ingrédients du son et éléments du système Swans (dernière période) font valoir leurs vertus anticorrosives face aux traîtres assauts du temps : timing chanson achalandé et allongé (de 2’20 min à 9’25 min), ampleur sonore marmoréenne sans lourdeur procédurière (ceci n’est pas du heavy metal), martèlements rythmiques dignes d’une charge de pachydermes domptés (on doit parler d’assemblage savant de toms et d’éléments percussifs plutôt que de batterie), tortueuses mélodies aux dénivelés de colimaçon alpestre, progressant par paliers de compression là où l’air se fait rare, mais évitant les expositions au sommet pour négocier des retours par étapes successives en plaine, et surtout la voix sardonique de Gira et son vibrato médian de ceux des Nick Cave et autres Ian Curtis (Joy Division). Dans l’œuvre pléthorique des Swans, The Great Annihilator est son aïeul le plus proche, mais les deux ballades de folk sépulcral (« Reeling The Liars In », le final « Little Mouth ») montrent que l’apport The Angels Of Light n’est pas à minimiser. Au centre du disque, on trouve un titre freak qui fait froid dans le dos. L’intitulé est un programme à lui seul : « You Fucking People Make Me Sick ». Banhart y chantonne avec la fille de Gira dans une ambiance malsaine de Sud profond, et ça fiche les chocottes. Déjà que My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky s’était ouvert sur des bruits de cloches précédant le tintamarre d’une marche de géants (« No Words/No Thoughts »). Et même lorsque l’humeur est à l’orage (« Jim », « Eden Prison », « Inside Madeline ») Swans négocie, en fin de titre, une aire d’atterrissage où ses noires complaintes viennent mourir dans une ultime oraison funèbre. On les connaît déjà un peu à l’avance mais on ne se lasse pas de les (ré)entendre.

usPassé le seuil de Run Thick In The Night (l’introductif « In The Night »), cinquième étape du trop discret parcours discographique des (comme leur nom l’indique) Américains de U.S. Christmas, on n'est pas trop dépaysé : roulement de toms tribal ou solennisé, guitares messagères, violons d’appui discret. Il faut attendre la voix hallucinée de Nate Hall et sentir le fond de l’air se charger de plomb dans un ciel bouché et électrifié pour mesurer la longue route en terres heavy et psychédéliques qui nous attend. Attendre, les cinq ou sept membres de U.S. Christmas s’en sont fait une spécialité, car sans l’oreille fureteuse du label Neurot Recordings (monté autour de Neurosis) qui a sorti leur avant-dernier album (Eat The Low Dogs en 2008), ces natifs des Appalaches végéteraient toujours en 3ème ou 4ème division rock option CDr ! Et le groupe n’aurait sans doute pas eu les moyens de ce road trip musical qui bat aussi bien la campagne (aride) folk que les espaces abandonnés en bordure de désert (rock), foule quelques mausolées touristiques (des bribes country surnagent) pour mieux s’égarer sur des pistes enfumées qui ne mènent nulle part ou alors à des paradis chimiques et artificiels. Le plus étrange vient ici de la température ambiante, proche de zéro. Il fait chaud certes, mais c’est sans doute parce qu’on a attrapé la fièvre ou que le manque commence déjà à vous mordiller l’humeur et vous déréguler les sens. Ou alors c’est le désert façon roman à la Barry Gifford (dont David Lynch a adapté le Sailor et Lula), auteur de Perdita Durango : Quinze degrés et temps pluvieux, un lieu extrême flashé dans ses rares moments où il apparaît aussi éloigné que possible de ce qu’il est censé être. Le dernier endroit au monde sensible que l'on imaginerait porteur d'un imaginaire mystique fécond, nourri aux mythes premiers (la nature, les éléments), et qui imprègne profondément ce disque serti d’une présentation magnifique, depuis l'intitulé des titres (« Devil's Flower in Mother Winter »,« Fonta Flora »), à des textes hermétiques à l'identification mais fertiles à nourrir les épopées mentales sur le mode heroic fantaisy introspectif, sans bataille de masse dans le scénario. Et en effet, U.S. Christmas entonne rarement la charge (à l'exception de « Wolf on Anareta ») pour s'adonner la plupart du temps (le disque fait bien plus d'une heure) à un folk nomade et lunaire et à un rock psychédélique incantatoire aux ramifications épiques, mais toujours emprunts d'une insaisissable et farouche beauté. Un récit en dents de scie - Litanie païenne à deux voix (« Ephraim In The Stars »), instants d'abandon contrôlé (« Suzerain »), instrumental hanté et fracturé (« The Queena »), tourbillon rock au ralenti (« Deep Green ») – qui fait fi de ses quelques faiblesses (le coffre vocal de Hall est parfois limite, difficile de l’ingurgiter en 1 traite). Idéal pour ceux qui veulent sortir de l'hiver. Mais pas trop vite !

Yannick Hustache

 

 

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