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Pointculture_cms | critique

DÉMONS À MA PORTE (LES)

publié le

Accompagnée d'une fanfare, une troupe de soldats japonais traverse,

 

Accompagnée d'une fanfare, une troupe de soldats japonais traverse, un peu ridicule, la campagne chinoise; nous sommes en 1945. Devant, conscient de sa mission civilisatrice et pacificatrice, un officier à cheval distribue des bonbons aux enfants.
Un résistant chinois confie deux prisonniers dans un sac, un sergent japonais et son traducteur chinois, à un couple de paysans. L'un des captifs veut mourir et agresse verbalement ceux qui le soignent et le nourrissent, l'autre traduit ses invectives en langage policé, espérant rester en vie le plus longtemps possible. Les troupes japonaises campent près du village...
C'est la chronique d'une occupation, exacerbée par les rapports contrariés entre deux peuples asiatiques si loin, si proches : les Japonais méprisent les Chinois comme race inférieure; les Chinois, quant à eux, se moquent des Japonais et de leur discipline univoque. La proximité du camp ennemi et l'apparition de la famine au village font que le conseil décide de mettre à mort les prisonniers. Clair-obscur obsédant du choix de la vie ou de la mort. Pour les exécuter, les villageois font appel à diverses personnes, dont un ancien bourreau - on le voit décapiter les huit ministres félons de l'impératrice Cixi - tous refusent ou ratent l'exécution. Le jeu expressionniste des acteurs, clownesques parfois, expose les contradictions qui les hantent. Bel exemple de l'expression du tempérament chinois, de l'importance de l'avis des femmes (nous sommes dans le temps exceptionnel de la guerre et tous les avis sont les bienvenus !). Par contre, les hommes apparaissent sous un jour peu flatteur : ils sont faibles, indécis, lâches... Le final, en bouleversant les certitudes dans un flamboiement bref de couleurs fortes, se montre révélateur de la médiocrité de la nature humaine lorsqu'elle est le fruit d'un pouvoir sans conscience.
Bien qu'en noir et blanc, sauf la séquence finale, ce long métrage n'a rien de manichéen, mais est une comédie parfois burlesque au ton tragique, malicieuse et sans préjugé, un plaidoyer antimilitariste au style brillant. Fresque intimiste qui a du souffle, jouée formidablement par le réalisateur Wen Jiang (rôle du paysan Ma Dasan) et des amateurs inspirés, elle propose un mélange habile des genres, comme dans la tradition shakespearienne, se moquant de l'autorité politique, de l'armée et des conventions sociales. Le noir et blanc, utilisé avec raffinement, en accord parfait avec le fond, reflète autant d'intentions qu'une riche palettes de tons. Wen Jiang signe Les Démons à ma porte avec audace et réussite. Il ne fut apprécié ni par les autorités japonaises, ni chinoises, et eut des problèmes de censure, donc de distribution, dans son pays... mais reçut des prix internationaux à Berlin, Cannes et ailleurs.
(Pierre Coppée, Charleroi)

 

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