« Who's Afraid of Alice Miller » : un documentaire de Daniel Howald
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Toutes les victimes ne deviennent pas bourreaux. Mais tous les bourreaux ont été victimes. — Alice Miller
Une affaire de famille
Martin Miller est psychothérapeute, comme sa mère avant lui. En 2014, il publie un ouvrage intitulé Le Vrai « drame de l’enfant doué », objet par lequel il désacralise la personnalité d’Alice Miller, sa génitrice, auteure de renommée mondiale dont l’existence militante en faveur des droits de l’enfant n’aura manifestement pas profité à sa propre descendance. Un aveu d’enfant mal-aimé qui retient l’attention de Daniel Howald, réalisateur suisse à l’intérêt marqué pour les familles dysfonctionnelles (La Mort de ma mère, 2008). Quasi adaptation du livre de Martin Miller, Who’s Afraid of Alice Miller ? règle sa cadence sur celle de l’ex-garçon martyre, obèse claudiquant que la caméra de Daniel Howald poursuit outre-Atlantique, jusqu’en Arizona où, en quête de traces d’un passé nébuleux, il retrouve la cousine de sa défunte mère, Irenka Taurek.
Second protagoniste d’importance du documentaire, Irenka Taurek a jadis servi de nourrice au nouveau-né que fut Martin. L’enfant aurait été un fardeau pour une Alice Miller inconséquente, du moins dans son rôle de mère, alors en pleine écriture d’une thèse de doctorat. Une explication inaudible pour ce fils à la recherche du sens d’une enfance marquée par la brutalité d’un père et l’absence de figure maternelle. Suivi à la trace par l’objectif de Daniel Howald, c’est naturellement que Martin Miller s’adjoint la compagnie d’Irenka dans ce qui apparaît comme une véritable investigation généalogique à travers l’Europe de l’Est, road-trip synonyme de ré-enracinement douloureux pour ce tandem hautement pittoresque. À les voir déambuler côte à côte, on peine à croire que ce géant de près de deux mètres se soit un jour lové dans les bras menus de la chétive et grisonnante Irenka.
Déterrer des cadavres
Et pourtant, les jeunes personnes qu’ils ont été semblent, à chaque instant, les chaperonner, petite prouesse de réalisation à mettre au crédit du film de Daniel Howald. À commencer par le petit garçon que fut Martin Miller, suintant de tous les pores de son imposante carcasse. Son voyage se poursuit d’abord seul, à Berlin, première étape d’un road-movie aux mille paradoxes, dont la réalisation aussi intimiste que voyeuriste construit son objet au gré des caprices de l’enfant en souffrance : entre doléance aigrie, recherche des causes originelles et prémices de pardon. C’est donc dans la capitale allemande que Martin se confronte au propre thérapeute de sa mère, Oliver Schubbe, consulté par celle-ci à près de quatre-vingt ans, dans le but avoué de faire face à sa relation conflictuelle avec son fils. La correspondance épistolaire entretenue avec ce spécialiste en psychotraumatologie témoigne du transfert, effectué par Alice Miller, de son mari honni à un fils ayant hérité malgré lui du même statut de bourreau.
Ma mère avait coutume, pour me punir, de ne pas m’adresser la parole des journées entières, et je me sentais perpétuellement sous la menace de ce silence. — Alice Miller
Si la pénibilité de son enfance, Martin la doit pour une large part au mariage nocif un jour contracté par ses parents, la passivité de la mère face la brutalité du père trouverait sa source dans le lourd passé familial des Miller. C’est du moins ce que suggère le film, lancé sur la piste des origines juives polonaises du couple, depuis la ville de Varsovie. C’est là que Martin est rejoint par Irenka, laquelle partage moins sa propension à l’apitoiement que sa détermination à faire la lumière sur ce qu’est advenue la jeune Alice Miller, encore adolescente au moment de l’occupation de la Pologne par l’envahisseur nazi. Depuis sa fuite du ghetto de Piotrków Trybunalski sous une fausse identité, sa rencontre avec Andreas Miller et une expatriation appelée de ses vœux vers la Suisse – pays où elle entame le parcours académique qui la fera connaître –, la trajectoire de la jeune femme est reconstituée par un panel d’intervenants composé de chercheurs, archivistes et historiens, bien disposés à étancher la soif de curiosité du duo de comparses filmé par Daniel Howald…
Texte : Simon Delwart
Le film aux Rencontres images mentales (RIM) :
http://www.lavenerie.be/programme/whos-afraid-of-alice-miller/