ASHES OF AMERICAN FLAGS
On voit d’ici la tête de quelques wilcomaniacs virant au rouge pivoine à l’écoute du refrain chapeautant le titre introductif (« Wilco [The song] ») d’un album qui donne autant dans l’auto-citation (dès les intitulés de l’opus et de la première plage) qu’un pasteur évoque le nom de son tout-puissant de patron à chaque paragraphe de son prêche du dimanche matin ! Wilco (3x) loves you surenchérit un Jeff Tweedy presque impérial dans une mélodie en pur sucre d’orge pop qui dévoile in extremis un léger piquant de guitares poivrées. Entamée avec « A Ghost Is Born » (2004) et poursuivie avec « Sky Blue Sky » (2007), la carrière du le désormais sextuor américain goûte toujours davantage aux bénéfices d’une normalisation avantageuse qui l’a fait glisser des rangs de tête d’un indie rock (enfin) ambitieux, aux places d’honneur d’un (allons-y) mainstream bon teint, mais fort heureusement à l’abri des odeurs de formol du classic rock labellisé. Lesté d’une belle plume de raconteur d’histoires et d’une voix de nez parente de celle d’un Neil Young juvénile et/ou attendri, ou proche d’un George Harrison des bons jours, Tweedy fonde Wilco en 1994 après s’être fait brillamment remarquer au sein d’Uncle Tupelo. Ses chansons ont dès l’origine une inhabituelle profondeur de champ où se lisent en creux les aspirations syncrétiques d’un homme qui place Hank Williams, Love, The Beatles, aussi bien que The Minutemen (punk/jazz US très atypique avec Mike Watt à la basse) ou The Clash sur une même hauteur d’échelle qualitative. Mais bien que tout à la fois seul membre permanent et patron officiel de Wilco dont il écrit la plupart des textes, Tweedy est loin de circonscrire son insatiable boulimie créative à son bébé et multiplie les projets annexes qui, d’une manière ou d’une autre, oxygènent une déjà imposante discographie riche de sept étapes. Parmi ces échappées, Loose Fur (deux plaques à ce jour) né, à l’aube du millénaire, de sa rencontre avec l’insaisissable et éclectique Jim O' Rourke (ex-d’un tas de formations dont Sonic Youth et une fourmillante disco perso) et dont les brisures électriques et électroniques influeront durablement « Yankee Hotel Foxtrot » (2002) et ses successeurs cités plus haut, proverbiaux exemples d’un songwriting à l’ancienne revigoré par de franches excursions en terrain expérimental. Et à bien y regarder, l’arrivée en 2004 du guitariste multifacettes Nels Cline (dont le jeu court de la country pantouflarde à l’improvisation bruitiste) dans un noyau porté à six personnes garantit cette légère impureté moderniste qui fait tout le sel de mélodies qui taillent bien large dans le riche bestiaire du rock américain. Si, sur le petit dernier, la bluette « You & I » chantée par le duo Tweedy/Feist ou le très Gram Parsons « You Never Know » jouent en deçà des lignes blanches, « Bull Black Nova » déploie ses guitares sur trois niveaux et « Deeper Down » les assemble en des bouquets de fleurs aux senteurs contrastées. Plus loin la steel guitar de « Solitaire » touche - une première - à l’humilité, et c’est par un envol de six cordes pointillistes que se conclut un disque tranquille, mais pas apaisé.
Ô miracle, paru quelques semaines avant (The Album), le DVD « Ashes of American Flags » fait voir cette Amérique, immense et contrastée (de Tulsa à Nashville et de La Nouvelle-Orléans à Washington), qui sert de matière et de toile de fond aux scenarii élaborés par Tweedy. Filmé par le batteur de feu Fugazi (voir sa série Burn To Shine) qui jamais ne sacrifie l’exigence du regard à une très artificielle gesticulation clipesque, le Nouveau Continent n’est plus qu’un gigantesque réseau autoroutier reliant des villes qui se ressemblent toutes ou paraissent laissées à l’abandon. Avec sa dégaine à la Joe Cocker (avec 20 ans de moins) mâtiné de Denis Lavant et ses costumes impossibles, Tweedy trouve la juste distance avec un public à peine montré (et parfois absent) et ne cherche pas à focaliser tous les regards malgré un surmoi scénique assez imposant. La machine Wilco tourne à plein régime (Nels Cline, impérial), mais avec toujours l’enthousiasme et la générosité comme comburants). Fortiche !
Yannick Hustache