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Pointculture_cms | critique

1929

publié le

Structuré en deux volets - La crise et La grande dépression - respectant chacun la durée normative des reportages télévisuels, 1929 de William Karel (cf. C.I.A., guerres secrètes ou Le monde selon Bush) propose un passionnant document de vulgarisation […]

 

 

Structuré en deux volets - La crise et La grande dépression - respectant chacun la durée normative des reportages télévisuels, 1929 de William Karel (cf. C.I.A., guerres secrètes ou Le monde selon Bush) propose un passionnant document de vulgarisation historico-économique sur le Krach boursier d’octobre 1929, ses raisons et ses conséquences.

D’une facture classique, construit autour d’images d’archives (actualités cinématographiques d’époque, photos documentaires, et propagandistes, de Walker Evans et Dorothea Lange, extraits de films de fiction de Raoul Walsh et John Ford…) et, surtout, de l’enchâssement assez rapide et sans temps morts des paroles d’économistes et d’historiens, parfois français et souvent américains (par ex. Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, ou Howard Zinn, historien fameux de toutes les luttes de l’Amérique des laissés pour compte), 1929 tient son spectateur en haleine. [Même si, en gommant les différences d’appréciation entre les différents experts, Karel produit un effet d’unanimité intellectuelle un peu suspect]. Touchant presque au thriller apocalyptique, au film catastrophe et à une inexorable descente collective aux enfers, l’histoire qui nous est contée commence pourtant (pour les classes moyennes et supérieures de la société américaine; pas pour ses couches populaires et sa population noire, bien sûr) dans l’insouciance et la frénésie des années vingt. Décennie de boom économique, d’innovations technologiques et de consommation débridée (de 1919 à 1929, le parc automobile passe de six à vingt-sept millions d’unités; un cinquième de la population en possède alors une) et d’excitation boursière non limitée à la haute bourgeoisie et à l’aristocratie comme en Europe, mais contaminant largement le monde des salariés. À une époque où le boss de General Motors affirme sans sourciller « Avec 15$ par mois bien placés à la Bourse, je vous garantis un gain de 80000$ sur un ou deux ans », profitant des possibilités de crédit sans garanties, un Américain sur trois confie ses économies aux prestidigitateurs de Wall Street (10 à 20% des sommes sur fonds propres, le reste via le miroir aux alouettes du crédit)…

1929

Le « boursicotage » est devenu une rage, on trouve des téléscripteurs de la Bourse jusque dans les petites villes et les villages, dans les trains et sur les paquebots, dans les salons de beauté et les bars… Mais toute bulle qui gonfle - particulièrement quand sa croissance est irrationnelle et déconnectée de la réalité - finit par éclater. Et le 24 octobre 1929, après quelques signes avant-coureurs trop discrets, c’est le « Jeudi noir » et la revanche triomphale, démesurée et irrésistible de la panique. « Sur le sol [de Wall Street], des ordres de bourse froissés, comme des douilles de balles sur un champ de bataille » écrira le New York Times à l’époque. En quelques heures, les pertes équivalent à dix fois le budget fédéral annuel et dépassent les fonds dépensés par les États-Unis au cours de toute la Guerre 1914-1918. Puis, de semaine en semaine, de mois en mois, c’est l’effet domino et la (plus) lente contamination de la crise financière à l’économie réelle : l’arrêt brutal de l’achat de voitures par les ménages, le licenciement de dizaines de milliers d’ouvriers de l’industrie automobile, la chute de la consommation des autres biens… Le chômage sans allocations, bien sûr -, les loyers impayés, les expulsions, les « Hoovervilles » (bidonvilles sous l’ère du Président-autruche Edgar Hoover) jusqu’au cœur de Central Park, la troupe de 1929 qui tire - à balles réelles - sur les vétérans de 1918, les fermiers contraints à l’exode… Et, via la décision désastreuse (Hoover, encore lui) de rapatrier d’urgence tous les capitaux américains prêtés à une Allemagne pourtant bien loin d’avoir achevé sa reconstruction, l’exportation fulgurante de la crise dans ce pays, le minage des fondations de la République de Weimar et… la voie royale aux Nazis pour leur accession au pouvoir… Et, quelques années plus tard, le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Un conflit dont, soit dit en passant, « l’effort de guerre » qu’il impliquera réussira encore un rien mieux que les grands travaux d’intérêt collectif (construction de routes, de ponts, de barrages et d’écoles…) chers au New Deal du nouveau Président Roosevelt à ramener le plein-emploi dans le pays.

Aujourd’hui comme hier, la finance et la spéculation les plus virtuelles, (auto-)fictionnelles ou mensongères peuvent avoir des conséquences très sauvagement concrètes.

Philippe Delvosalle

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