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Pointculture_cms | critique

« X », un film de Ti West (USA, 2022)

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horreur, Texas, sexe, Années 1970, télé-évangeliste, slasher, Massacre à la tronçonneuse

publié le par Yannick Hustache

En 1979, au Texas, un petit groupe de jeunes « beaux » qui en en ont dans le slip, ont l’intension de tourner un porno « cheap » pour le marché de la vidéo alors en pleine explosion. Direction la campagne torride de l’arrière-pays texan et le chalet discret d’un couple de fermiers âgés et pas des plus accueillants…

Sommaire

Maxine, Wayne, Bobby-Lynne, Jackson, RJ et Lorraine tournent un porno…

Au Sud de la Bible-Belt, à quelques mois d’une décennie 1980 qui s’annonce à nouveau pleine de promesses (c’est du moins ce clament les Républicains et leur futur champion Ronald Reagan en cette année électorale 1979), la vie est dure au sortir d’une crise économique (celle d’après 1973) et qu’on a des rêves et projets plein la tête. Mais arriver à exister dans des villes comme Houston qui sont comme des havres de liberté isolés dans un océan de conservatisme évangélique cramé sous le soleil, demande d’avoir quelques dollars en poche et un sens inné de la débrouille.

Et c’est justement – un pas vers la célébrité et la fortune- que leur promet Wayne, producteur auto-proclamé d’un futur porno culte, indépendant & « interracial » (Jackson est noir et sa partenaire blanche), au titre si bucoliques : The Farmer's Daughterst. Mais les fermiers en question qui ont accepté qu’un groupe de jeunes adultes s’installe pour quelques jours de vacances dans une de leurs dépendances au confort sommaire, sont plutôt du genre retors. Le vieux Howard ne sort jamais sans sa carabine et affirme sans détour qu’il n’a de respect que pour les garçon/hommes qui ont servi leur pays (ce qui est le cas de Jackson qui a passé quelques temps au Vietnam). Quant à Pearl son épouse, elle demeure invisible aux étages de la bâtisse en état de délabrement avancé. Seule Maxine pense avoir vu aperçu sa silhouette. Et pour pour en être sûre, elle profite de l’absence momentanée d’Howard pour s’introduire dans la maisonnée et y faire une bien surprenante rencontre…

Le tournage du film débute dans la plus grande discrétion mais des tensions se font jour, surtout à partir du moment où Lorraine, discrète accompagnante de l’équipe et petite amie de RJ, apprenti réalisateur aux ambitions artistiques affirmées (il se targue de réinventer l’esthétique du genre), affirme son envie d’ajouter son nom au casting actif du film. Au grand dam de son copain qui, se sentant trahi, envisage de filer à l’anglaise.

Autopsie d’un massacre

À l’entame de X, c’est dans un décor de cauchemar et d’abattoir que débarque le shériff principal du patelin. Dentler – c’est son nom - n’a jamais rien vu de pareil. Des traces de sang partout dans et au dehors de la maison, des cadavres de jeunes inconnus poignardés, mutilés ou ayant reçu menues décharges de chevrotine, mêlés à ceux, tout aussi abimés, des deux propriétaires. Seule indice peut être directement exploitable dans son enquête, une cassette vidéo retrouvée dans une caméra au milieu des effets personnels des visiteurs… À l’intérieur de la maisonnée, le poste de télé est resté allumé et les imprécations d’un télé-évangéliste résonnent avec force dans les pièces à présent désertes de la grande baraque.

Dès la fin du générique, le spectateur est fixé sur son dénouement : un massacre sanglant perpétré pour l’essentiel à l’arme blanche autour d’une ferme dont le point d’eau attenant est fréquenté par des alligators.

Mais Tie West, jusqu’ici abonné aux séquelles de seconde zone, surprend tout son monde en menant de main de maître, de bout en bout un film qui sans réinventer totalement le genre (le slasher ?) en livre une variation éminemment jouissive. Une relecture qui manie l’art du clin d’œil cinématographique malin, joue perfidement avec les attentes du spectateur (qui va mourir, dans quel ordre, par quels moyens, et s’il n’en reste qu’un. e, ce sera ?) et glisse par effet de miroir historique, un sous-texte politique et sociétal depuis bien longtemps aux abonnés absents du cinéma horrifique en mode jeu de massacre...

Le péril vieux

Une fois exposé le carnage terminal, Tie West rembobine la pellicule de son film et s’attarde longuement sur la petite troupe de « jeunes » au sein duquel ce vieux beau de Wayne, qui dit avoir quitté sa femme pour la future star du X, Maxine Minx, semble mener. Les tensions au sein du petit groupe serré dans un van sans air conditionné sont palpables et vont croissantes entre les airs supérieurs de Minx, les ambitions auteuristes avortées de RJ, le désir de sa petite copine de s'essayer au porno et les paroles et manœuvres de Wayne, bien plus fauché et bien moins "introduis" dans le milieu du cinéma alternatif qu’il ne le prétend. Très tôt, la petite bande plonge en milieu hostile (frictions avec les locaux à la pompe à essence puis dès leur arrivée à la ferme), et tente de jouer les invisibles et de ne pas faire de vagues car Dieu seul sait comment les bigots du coin pourraient réagir à l’intrusion de jeune citadins « s’adonnant au péché de luxure » comme leur rappellent à longueur de programmes les prédicateurs télévisuels qui squattent la petite lucarne ! Non sans humour et une pointe d’ironie froide, Tie West fait survenir l’instant attendu du meurtre initial, premier domino d’une suite d'assassinats violents qu’on espère toujours surprenants et exécutés selon des codes de cruauté esthétique novateurs et un timing parfaitement maîtrisé, relativement tard dans son film. Et non sans avoir fait croire à bien des endroits (la mare aux alligators) que la chasse aux proies faciles était ouverte.

De même, si ce vieil acariâtre d’Howard fait dès les débuts un candidat parfait au titre de croque-mitaine plouc et tenant à peine sur ses vieilles guibolles, il ne se révèlera au final qu’un « assistant » de seconde zone face à une serial killer qui débute sa carrière sur le très très tard, et dont il essaiera même de retenir ou de limiter les ardeurs meurtrières…

Si X reprend sans s’en cacher le canevas et même quelques effets de décors intérieurs de The Texas Chain Saw Massacre (Massacre à la Tronçonneuse en français) de Tobe Hopper (1974) qui était entre-autre la métaphore d’une jeunesse citadine et habitée d’idéaux progressistes, prise entre l’étau patriotique de devoir participer une guerre perdue (celle du Viet Nam) et l’enclume moral d’ un pays largement sous l’emprise d'un rigorisme religieux réaffirmé, il tire le constat que cette Amérique-là est toujours aussi puissante aujourd’hui et pèse toujours de son poids dans les débats sociétaux? C’est celle-là même qui a élu un certain Donald Trump à la maison blanche en 2016 et s’attaque sans relâche et part tous les moyens disponibles à un droit essentiel obtenu par les Américaines durant cette même décennie 1970, le droit à l’avortement

Mais le film dresse aussi le constat qu’une autre division traverse la société U.S. tant à l’aube de la révolution conservatrice (fin des années 1970) qu’aujourd’hui, malgré un très apparent relâchement des codes moraux. Celui que l’écrivain Michel Houellebecq développait dans son livre Extension du domaine de la lutte (1994), à savoir que la lutte des classes s’étendait désormais au domaine de la sexualité, en lien au statut économique des individus. En résumé, plus on se trouve dans une position pécuniaire, et sociale avantageuse, au plus on peut prétendre à une vie sexuelle « riche » et pétrie d'opportunités.

Transposé de l’autre côté de l’Atlantique, c’est dans le fossé entre une jeunesse des villes avide de liberté et d’expériences sensorielles libératrices et une Amérique écrasée sous le poids du péché de chair que se nichera la fêlure fatale, génératrice d’une irrépressible pulsion mortifère. À laquelle s’ajoute la frustration et l’interdit sexuel qui frappent certaines catégories de populations jamais représentées en acte à l’écran. Pleurant sa beauté fanée avec le temps (les photos dans la maison), Pearl fait part à Maxine de façon très appuyée, de sa frustration profonde que son mari n’est plus en état de la satisfaire. Et la scène de X la plus « dérangeante » est celle (oh surprise !) où, le temps d'une incroyable scène de lit, le cinéma d’horreur et porno montrent leur même à-propos pour s’aventurer aux frontières floues de « l’acceptable » en matière de représentation des limites du corps "plaisir" et/ou supplicié, de ses chairs et de ses flux …

La petite boutique des horreurs !

Outre la référence au classique de Tobe Hopper, X joue à un jeu de cache-cache malin avec pas mal de chefs d’œuvres consacrés ou méconnus du patrimoine horrifique des années 1970. Des films souvent fauchés mais dont l’indissociable sous-texte politique (au débotté : La Nuit des morts-vivant, Evil Dead, Carrie…) a, pour une grande part été effacé au « profit » de questions de parentalité difficiles à l’entame des années 1980. On listera aussi Psychose (Hitchcock, 1960), Alligator (Lewis Teague, 1980), Hardcore (Paul Schrader, 1979) Boggie Nights (Paul Thomas Anderson, 1997), mais on ne pourra pas s’empêcher de songer à la ferme d’Hershel dans la seconde saison de la série The Walking Dead (2011-2012) et la grange sise à l’écart, où le fermier enferme les rôdeurs capturés sur ses terres dans l'attente d’un hypothétique remède. Ce qu’ignore Rick Grimes et son groupe venus camper là le temps que son fils blessé recouvre ses forces, ignore. Dans X, les occupants du chalet sont (presque tous) déjà morts… mais ils ne le savent pas encore !

X, un film de Ti West

États-Unis, 2022, 2h20

Texte: Yannick Hustache

Crédits photos: The Searchers

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Agenda des projections:

Sortie en Belgique le 4 mai 2022 via The Searchers

Le film est programmé dans la plupart des salles en Belgique.

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