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Pointculture_cms | critique

ART DE LA RADIO - YANN PARANTHOËN (L')

publié le

Radio de terrain et création radiophonique Portrait d’un grand témoin avec Nagra

 

 

Le label Phonurgia Nova qui avait déjà édité quelques-unes des œuvres de Yann Paranthoën, dont les célèbres Lulu et On Nagra - Il enregistrera, revient avec une nouvelle publication consacrée au créateur radiophonique, intitulée L’Art de la Radio. Elle comprend un livre, un CD reprenant une pièce magnifique : le Questionnaire à Lesconil qui valut à son auteur le Prix Italia en 1980, ainsi que deux films, l’un qui le montre au travail et l’autre qui le suit aux usines Kudelski, en Suisse, pour une révision de son fidèle enregistreur Nagra IV-S 3328. C’est l’occasion de revenir sur le travail de celui qui se définissait lui-même comme un « tailleur de son », en hommage à son père adoptif, tailleur de pierre en Bretagne. Il faut redire l’impact du travail de Paranthoën sur l’approche du son à la radio. Lorsqu’il propose sa première véritable création en 1967, une pièce intitulée Un petit chariot pour la grande Ourse, mettant en scène ses enfants visitant un magasin de jouets, il propose consciemment quelque chose de très osé pour la radio de l’époque : une émission faite uniquement avec des sons et des bouts de voix, sans interviews, sans présentation.

ypSes œuvres suivantes seront toutes focalisées ainsi sur la prise de son, sur l’effacement du « reporter » au profit de l’enregistrement qui « laisse entendre, et évite de dire ». Pour lui, être « tailleur de son », c’est ça : souligner la matérialité du son, mais aussi rappeler le besoin de l’ébarber, de le débarrasser d’un excédent, de n’en garder que ce qui raconte, que ce qui signifie. D’où sa méthode de travail, et la séparation qu’il opère entre la voix et le fond sonore, toujours enregistrés séparément. L’une, la voix, est prise en mono, le plus isolément possible, le plus distinctement, et le fond, lui, est construit, orchestré, à partir d’éléments hétérogènes, comme un décor. La mono est choisie pour l’intimité, elle concentre le champ sur la personne. Le paysage sonore, lui, est élargi et vaste. Il est composite, totalement artificiel d’une certaine manière, et pourtant toujours extrêmement vrai et juste. C’est cette alternance, ce balancement scrupuleusement rythmé entre la voix et le paysage, qu’on retrouvera dans toutes ses réalisations, qu’elles expriment son attachement à son pays, la Bretagne, ou son amour du cyclisme auquel il a consacré plusieurs créations et reportages. En plus de ce talent pour l’enregistrement et de ce souci du détail qui parle, il a également une oreille particulière pour la musique des voix, distinguant la voix de basse des gens qui travaillent à l’extérieur et/ ou doivent « porter la voix » pour passer au-dessus du son de leur labeur, de celles plus aiguës des travailleurs « intellectuels », vivant et travaillant en lieu clos. Paranthoën, quoiqu’à cheval sur les deux mondes, se sentira toujours plus proche des travailleurs manuels, insistant sur l’importance du geste, de la main, dans son propre travail de création. Il fera l’éloge du travail sur bande, plus lent, plus artisanal, tellement éloigné du montage numérique où on fait intervenir la vue davantage que l’écoute. Pour découper une bande magnétique, il faut l’écouter et la réécouter, la ralentir, faire avancer l’enregistrement à la main pour déceler l’endroit où couper, celui où il faut reprendre, et prendre ainsi la mesure du temps. Mais à côté du preneur de son émérite, jouant de son enregistreur et de sa console de mixage comme d’autres d’un instrument, et du créateur isolé au sein de son institution, préférant travailler seul pour pouvoir, dit-il, « aller jusqu’à se tromper », il y a également quelqu’un de profondément humain qui professait qu’« il faut aimer les gens qu’on enregistre. C’est comme un modèle pour un peintre, il faut le servir au mieux… Ca devient ta famille, à chaque émission c’est une nouvelle famille que tu rencontres. »

Benoit Deuxant

 

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