INDE DU NORD: HARMONIUM
Diable d'harmonium.
L'harmonium, une histoire de mixité culturelle… Breveté
à Paris en 1842, modeste substitut de l'orgue. Diabolisé en Inde
avant de s'imposer, au détriment du sarangi, dans l'accompagnement des
chanteurs. Et enfin une folle consécration soliste, éditée
par le label Cinq Planètes…
De l'harmonium coule à merveille le fleuve idéal, effacé,
chargé de conduire le chant, de sa source à la mer, à travers
ses méandres, soupirs et rapides, en le soulevant, le pliant et le dépliant,
l'amplifiant et le projetant sans limites. Quand un instrument traditionnellement
dévolu au second rôle sort de l'ombre, s'affranchit complètement
et devient l'instrument premier, le soliste, la vedette, il éclaire un
nouveau cheminement du langage musical. On passait à côté
de lui sans vraiment l'entendre. Ce langage second, qui s'effaçait pour
mettre en valeur la première personne, le chant principal, raconte maintenant
pleinement son destin, sa manière de voir les choses, au premier plan.
Pour ce faire, il faut que cet instrument fasse un bond qualitatif énorme,
sinon il ne pourra tenir le devant de la scène, il sera renvoyé
à l'anecdotique. Cette « promotion » s'effectue
quand un musicien, fasciné par l'instrument, y investit un travail énorme
pour en développer les ressources expressives. Quand l'instrument devient
miroir et que le pratiquant en explore les ressources cachées, en perfectionne
les techniques selon des affinités profondes qu'ils se découvrent
l'un l'autre, il va en libérer le potentiel dans une sorte de pacte magique.
Avec, à la base, une poussée de l'idiosyncrasie du musicien qui
vient « altérer » la tradition, la personnalisant
dans un acte solo inédit. Ce qui relie cette aventure à une conception
moderne de l'art basée sur l'individualité, la personnalité
unique de l'artiste. Même si l'harmonium varie superbement sur des airs
traditionnels et des ragas, l'audace de s'affranchir, de s'approprier le rôle
du soliste est moderne. Quelque chose se libère, un éblouissement,
le jaillissement d'une nouvelle manière de saisir et transmettre une
musique déjà connue. Un nouveau point d'écoute transi.
Une révélation.
(Pierre Hemptinne)