« Very Dick » | 3 films et 2 jeux vidéo d'après Philip K. Dick
Sommaire
Films
Blade Runner (Ridley Scott, 1981)
Sans doute l’adaptation cinématographique la plus réussie tirée d’un livre de Philip K. Dick. Ridley Scott s’empare du texte de Dick et nous envoie dans les yeux un objet qui, presque 40 ans après sa sortie, est toujours sidérant. Le futur avance-t-il ou recule-t-il, on ne sait plus très bien, mais les mille éclats d’une ville plongée dans sa propre ombre imaginée par le metteur en scène nous étourdissent ou nous ouvrent toujours les yeux avec autant de fureur, aussi imprégnée d’une certaine idée du ‘mouvement lent’ que soit la mise en scène, chaque séquence ressemblant à un arrêt sur image. Le visuel est si pénétrant qu’on pourrait craindre une absence de fond alors que ce n’est pas le cas, pour preuve la thématique de l’empathie, qui irrigue toute l’œuvre de l’écrivain et que le cinéaste met dans les mains de l’extraordinaire Rutger Hauer, le réplicant qui, censé en être dépourvu, finit par se poser la question de la mort et part à la recherche de son créateur, rendant ainsi compte de l’émergence chez une machine d’un sentiment et d’un questionnement réputés exclusivement humains. Dick semble avoir ‘vu’ notre monde avec quelques décennies d’avance et chaque relecture d’un de ses textes trouble un peu plus, Ridley Scott distille cette même impression. [DS]
Screamers [Planète hurlante] (Christian Duguay, 1996)
Planète hurlante de Christian Duguay est tiré de la nouvelle Nouveau modèle et, sous des dehors complètement différents, les questions se recoupent, dont une des plus importantes dans l’œuvre de Dick, celle qui finalement contient peut-être toutes les autres et qui donne toute son ampleur à la quête quelque peu éperdue qui fut la vie de l’auteur : qu’est-ce que l’humain et qu’est-ce qui le différencie de la machine. Dans Blade Runner, on a parfois l’impression que les humains tendent à devenir des machines alors que les machines se posent des questions « réservées » aux humains ; dans ce petit film, l’angle choisi est bien plus inquiétant : ce sont les machines qui ont appris à se construire dans le but d’éliminer toute forme humaine, brouillant les pistes de manière plus perverse encore en générant paranoïa et folies en tous genres, sauf que, pour qui a beaucoup lu Dick, la paranoïa, pour effrayante et destructrice qu’elle soit, est finalement très saine et elle ouvre les yeux (privilège de la littérature ?) ! Notre monde est paraît-il dickien, c’est-à-dire une sorte de prolongement des mondes kafkaïens, mais la lecture de son œuvre et des nombreux entretiens et confidences qu’il nous a laissés nous le montre incontestablement humain (très humain) et l’affection qu’il disait éprouver pour ses personnages, c’est-à-dire en fin de compte pour notre condition humaine, transparaît presque à chaque ligne. Planète hurlante est donc un bon petit film, idéal pour avoir une idée de comment commencer à entrer dans l’univers de ce cher Phil Dick. [DS]
Minority Report (Steven Spielberg, 2002)
L’œuvre de Dick regorge d’idées et de délires apparents : le temps se décompose et part en lambeaux ou son cours s’inverse, on retourne vers notre naissance ou on tue des gens qui sont en ‘demi-vie’ (voir Ubik), les dieux malveillants abondent, faisant subir de bien laides choses aux humains, eux-mêmes le plus souvent paranoïaques ou tellement déconnectés de ce qu’on appelle la réalité qu’on n’est jamais très sûrs qu’ils ne délirent pas sur leur propre folie, à moins que ce ne soit la réalité qui se soit mise à déraper sérieusement au point qu’on ne sait plus vraiment si le réel est bien le réel et si notre folie est bien la nôtre, ou encore certains personnages subissent des dédoublements de personnalité en ayant conscience de la chose et se mettent à surveiller leurs propres comportements. Dick peut sembler farfelu avec son sens de l’horreur malaxé d’humour, de théologie, de métaphysique et de mises en situations impossibles, à tel point qu’on finit par perdre soi-même le sens (orientation et feeling) de la réalité en le lisant et qu’on se demande comment il faut prendre tout ça ? Pourtant il s’incruste dans l’esprit et on commence à se demander si cela ne provient pas de l’impression que nous vivons dans un monde devenu inquiétant et que si ces livres de science-fiction à priori passablement déjantés et hors de propos sont passés de l’anonymat au statut ‘culte’ pour enfin être considérés comme ‘essentiels’, c’est qu’ils ont capté certaines choses de l’évolution d’un monde bien jeté (le nôtre). Comment donc se fait-il que Dick soit désormais reconnu comme un auteur important, comme quelqu’un qui aide ‘réellement’ à mieux saisir le dérangement du monde, et bien c’est sans aucun doute parce qu’il donne prise à nos questionnements, à nos désorientations et peut-être nous fait-il prendre conscience que c’est le réel lui-même dont la folie peut être interrogée. L’idée toute simple de la nouvelle dont Spielberg a tiré son film peut aider à faire comprendre parce que cette idée folle s’insinue tout doucement dans notre monde. L’idée générale est qu’avant même qu’un crime ait été prédit, celui qui va le commettre va être détecté et arrêté. Idée typique d’un livre de science-fiction dira-t-on, pourtant le développement affolant de tout ce qui tourne autour du numérique et des algorithmes qui le dirigent devrait nous mettre la puce à l’oreille : l’idée est là et bien là, et lire Dick en aidera sans doute beaucoup à se dessiller les yeux. Il faut être inquiet. [DS]
Jeux vidéo
Blade Runner (1997, PC)
Véritable pièce maitresse de l’adaptation vidéo ludique par Westwood Studios (les créateurs de la série de jeux stratégiques Command & Conquer) sorti pour PC en 1997, Blade Runner n’est pas une adaptation fade et mercantile facile du film de Ridley Scott mais bien un jeu à part entière. Ce jeu d’énigme (« point n’click ») reprend l’esthétique du film, mais a droit à son propre scénario et ses propres personnages. Il s’agit d’une véritable extension de l’univers de PKD. Une remastérisation assez laborieuse – due à la perte du code source du jeu – nous permettra de pouvoir y rejouer courant 2021. [TM]
Cloudpunk (2020)
Voitures volantes dans un univers pluvieux et gris, néons criards, buildings qui touchent le ciel, musique synthétique. Non vous n’êtes pas dans Blade Runner mais bien dans un jeu indépendant des Berlinois ION LANDS : Cloudpunk. Ce jeu au graphisme cubique vous met dans la peau de Rania, une livreuse de colis, employée en mission pour une société qui n’a rien à envier à Uber. Vous voilà parti à parcourir la ville de Nivalis de haut en bas à l’aide de votre tacot et accompagné de Camus, l’IA de feu votre chien, dont vous avez vendu le corps pour pouvoir survivre. Hommage non seulement à Blade Runner mais aussi aux préoccupations de l’auteur, si PKD était encore vivant il aurait très certainement abordé les sujets du jeu, l’uberisation, l’esclavagisme des robots, l’omniprésence des algorithmes. [TM]
un article de Daniel Schepmans (films) et Thierry Moutoy (jeux)
Une piste d'écoute pour poursuivre : Emmanuel Carrère évoque Philip K. Dick sur France Inter :