Africa is/in The Future : Cultes africains et tambours de Cuba
Les percussions sont aujourd’hui considérées comme un élément indissociable de la musique afro-cubaine. L’histoire de leur arrivée et de leur survie dans l’île est pourtant loin d’avoir été simple. Elle est au contraire jalonnée de tentatives de les faire taire à jamais et le métissage musical que nous connaissons de nos jours ne s’est pas fait sans douleur.
Il est bien connu que, contrairement aux esclaves africains qui avaient été transplantés aux États-Unis, ceux qui avaient auparavant été emmenés à Cuba et dans le reste des Caraïbes avaient été autorisés à emporter leurs instruments de musique, notamment leurs tambours. Il avait même été toléré qu’ils en jouent lors de célébrations dont les maîtres étaient incapables de dire si elles étaient rituelles ou festives. Cette tolérance diminua grandement au fil du temps, sous l’influence de plusieurs facteurs. L’Église catholique s’acharnera à interdire l’expression de toutes formes de religion africaine, dont les tambours étaient à la fois une composante et un symbole. La révolution en Haïti voisin (anciennement La Hispaniola, rebaptisée Saint-Domingue par les Français) et la défaite sanglante des colons blancs marquera également les esprits, qui se souviendront du rôle guerrier que les tambours y ont joué. Enfin, l’occupation américaine, à peine déguisée en politique protectionniste, verra l’importation à Cuba des lois racistes en vigueur aux États-Unis et continuera de marginaliser la population noire et d’en réduire les moyens d’expression.
Il faudra littéralement des siècles pour que les percussions africaines puissent être entendues en public dans un contexte musical. Les théâtres et les music-halls cubains ont non seulement longtemps interdit l’entrée aux afro-descendants, mais aussi à leurs instruments. La barrière qui séparait la civilisation de la barbarie selon les théories d’alors était de jouer les percussions avec des baguettes ou des maillets, et non avec les mains. Seuls étaient tolérés les tambours militaires et les timbales de l’orchestre classique. Ce n’est qu’au milieu du XXème siècle que les interdictions sont progressivement levées et que bongos, congas ou tambours batà pourront être vus sur scène devant un public blanc. L’influence du be-bop américain sera étrangement un soutien important de cette mixité musicale.
Durant les siècles qui
ont précédé, les tambours avaient été avant tout joués par les noirs à l’écart
des blancs. C’est surtout le cas des percussions rituelles utilisées dans les
différentes religions africaines dont la pratique a survécu à Cuba. Parmi les
populations déracinées du continent africain, plusieurs cultes ont été
préservés, parfois en secret pendant la période de l’esclavage, puis dans la plus
grande discrétion après son abolition.
Certains esclaves avaient
été christianisés ou islamisés avant leur enlèvement, mais beaucoup ont
conservé leurs religions d’origine, parfois camouflées sous des dehors
chrétiens. De nombreuses divinités africaines ont été honorées sous le
déguisement de saints catholiques et leur culte a donné naissance à une forme
cubaine de syncrétisme religieux. D’autres cultes ont au contraire conservé
leur forme traditionnelle, notamment grâce à l’institution des cabildos, sociétés d’entraide organisées
selon les ethnies d’origine des esclaves. Il en existe plusieurs types,
correspondant à des cultes différents : les Lucumi (ou Yoruba, provenant
du Nigéria et du Bénin actuel) pratiquent la Regla de
Ocha ou Santeria,
les Congos (provenant d’Afrique centrale) le Palo, (également appelé
las Reglas de Congo), les Fon et Ararà (de l’ancien royaume du Dahomey) La Regla de Arará. Il faut de plus mentionner des sociétés secrètes comme les Abakuas,
fraternités initiatiques originaires de l’ancien territoire de Calabar, exclusivement
masculines et comparables à une forme africaine de franc-maçonnerie. Les esclaves
emmenés à Cuba par les réfugiés français fuyant la Révolution haïtienne de 1791-1804 importeront également le vaudou.
Toutes ces religions faisaient un usage important des percussions lors des cérémonies rituelles et les tambours étaient des objets sacrés, qui établissaient le lien entre les hommes et les divinités, entre les vivants et les ancêtres. Certains de ces instruments ont fait la traversée de l’Atlantique, mais la plupart ont été construits sur place, à Cuba, et consacrés par la suite. Ils accompagnent des chants et des danses dont la forme a souvent été mieux préservée qu’en Afrique, où ils ont poursuivi une autre évolution. Ces tambours, principalement de type iyesa, bembé ou batà, vont généralement par groupe de trois, et peuvent être accompagnés d’autres percussions plus petites, güiros, chekerés, guataca, etc. Ces tambours sont parfois joués hors du contexte cérémoniel ; ce sont alors des instruments différents, non-consacrés qui sont utilisés, et les rythmes qu’ils jouent sont eux aussi différents. Certains au contraire, comme les tambours à friction ekwé ou kinfuiti (lointains parents de la cuica brésilienne) doivent être dérobés aux regards non-initiés, et sont joués derrière un paravent ou dans une pièce séparée.
Aujourd’hui cet héritage des rituels africains est toujours vivant et préservé. Si la position officielle de l’état est de considérer toute forme de religion comme superstitions, il a toutefois la volonté de maintenir ces traditions comme constituant une part importante de la culture populaire cubaine. La Santeria, le Palo Monte (culte des morts) et de nombreux autres rites sont aujourd’hui pratiqués sans restrictions et sans l’obligation de dissimulation des époques précédentes.
Musicalement, l’influence des tambours rituels peut être perçue à travers toute la musique cubaine. Si les instruments et les rythmes n’ont pas été transcrits littéralement dans la musique profane, ils ont eu un impact direct sur son développement. La plupart des percussionnistes ont eu des liens avec les pratiques religieuses traditionnelles dont les danses et les musiques ont servi de formation pour beaucoup. La structure de ces musiques, sa polyphonie et sa polyrythmie, se sont retrouvés par la suite, à des degrés divers, et sont des formes parfois modifiées, dans les différentes formes de musique afro-cubaine.Benoit Deuxant
illustration du bandeau : Okónkolo ou tambor chico, un des trois tambours Batá. photo par Antonio
Vendredi 18 mai 2018 - 18h à 2h du matin
Bozar (Bruxelles)
programmation Cubalandz
partenaire d'Africa is/in The Future
Africa is/in The Future 2018
Du Jeudi 17 mai au Samedi 19 maià PointCulture Bruxelles, au Cinéma Nova, à Bozar et à la Bellone.
En partenariat avec le Goethe Institut. Avec la collaboration de XamXam, la Gaîté Lyrique, PanAfricanMusic | PAM, URCA asbl, Camarote asbl, Cubalandz Festival, Scènégal éthic, Hélico, KAANI, Rebel Up !, SEMETt Bruxelles, MuntPunt, Café Congo, le Collectif Mwanamke, la Maison du Livre asbl, le Centre Librex, Afropean Project et les librairies Les Yeux gourmands, Tulitu, Joli Mai.
Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et Wallonie-Bruxelles International.