Anna Karina, « Si tu souris c’est pour mieux m’envahir ».
Sur l’écran de cinéma, cet art du regard s’il en est, les plans rapprochés sur les yeux peuvent acquérir une présence au trouble démultiplié par le dispositif de projection. En particulier dans le cas des regards droits dans l’axe de la caméra. Le spectateur regarde l’acteur le regarder. À distance, une relation s’établit. Il n’en est pas autrement dans Alphaville (1965) et les cinq autres longs métrages qu’Anna Karina tourne avec Jean-Luc Godard entre 1960 et 1966. Sauf qu’ici, pour rajouter au trouble, c’est l’être aimé, le mari du moment qui, de l’autre côté de la caméra, regarde, écoute et met en scène. [PD]
« - Pourquoi t’as l’air triste ?
- Parce que tu me parles avec des mots et moi je te regarde avec des sentiments. »
(Jean-Luc Godard, Pierrot le fou, 1965)
« Tes yeux sont revenus d’un pays arbitraire où nul n’a jamais su ce que c’est qu’un regard »
« – Amoureux ? Qu’est-ce que c’est ?
– Ça.
– Non, ça je connais ; c’est la volupté.
– La volupté est une conséquence, elle n’existe pas sans l’amour.
– Alors l’amour, c’est quoi ?
Ta voix, tes yeux, tes mains, tes lèvres, le silence, nos paroles, la lumière qui s’en va, la lumière qui revient, un seul sourire pour nous deux, pas besoin de savoir, j’ai vu la nuit créer le jour sans que nous changions d’apparence, ô bien aimée de tous et bien aimée d’un seul, en silence ta bouche a promis d’être heureuse, de loin en loin dit la haine, de proche en proche dit l’amour, par la caresse, nous sortons de notre enfance, je vois de mieux en mieux la forme humaine comme un dialogue d’amoureux, le cœur n’est qu’une seule bouche, toutes les choses au hasard, tous les mots dits sans y penser, les sentiments à la dérive, les hommes tournent dans la ville, le regard, la parole et le fait que je t’aime, tout est en mouvement, il suffit d’avancer pour vivre, d’aller droit devant soi, vers tout ce que l’on aime, j’allais vers toi, j’allais sans fin vers la lumière, si tu souris, c’est pour mieux m’envahir, les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard. »
Photos et dialogue d’ « Alphaville », de J.-L. Godard, avec Anna Karina et Eddie Constantine, 1965.
Texte d’après Paul Eluard, « Capitale de la douleur ».
Texte d'introduction : Philippe Delvosalle
Captures d'écran et mise en page : Catherine De Poortere