Arabelle Meirlaen : du Cwerneu à l’étoile, en passant par champs
C'est une expérience qui stimule le « quel goût ça a ? » et qui conduit à se laisser aller, à évoluer sur des terrains parfois difficiles à cerner : des saveurs semblent familières, mais altérées par d’autres inconnues, ou épicées par des éléments qui rappellent des choses très anciennes que l’on ne sait plus nommer. Comme toute trajectoire, il y a des constantes, évidemment, des points d’ancrage qui s’expriment dans le menu, au fil des saisons, des produits réguliers, des associations qui reviennent telles quelles ou variées. Mais ces récurrences se sont établies grâce à l’intuition et restent vivaces, surprenantes, grâce à ce régime intuitif. On dit assez que le cerveau, pour créer et garder son aptitude à s’émerveiller devant la vie, a autant besoin d’habitudes que de surprises.
La trajectoire de vie relève
d’abord de la biographie. Arabelle Meirlaen entre en cuisine au centre de Huy,
comme serveuse au Li Cwerneu. (Li cwerneu,
de l’ancien français témoin de l’époque bourguignonne, c’est le sonneur et le
crieur public qui, du haut du beffroi, avertit la population des événements et
dangers à venir.) De la salle, les circonstances conduisent Arabelle Meirlaen aux
fourneaux. Ce n’était pas prévu, pas un plan de carrière, elle découvre, elle
doit tout inventer et improviser. C’est une autodidacte d’origine paysanne,
élevée à la ferme. Son organisme, en outre, n’a pas une relation facile avec
l’alimentation, elle entretient des intolérances. Elle doit chercher des
solutions, des formes de cuisine adaptées mais goûteuses, ce qui la conduit à
élaborer sa propre conception de gastronomie saine, hors classicisme.
Conseillée, se documentant scientifiquement, elle se tourne avant tout vers la terre et la connaissance des simples (comme on disait pour parler des ressources offertes par les plantes). Et c’est là que se construit peu à peu une grammaire culinaire personnelle, intuitive, qui n’a rien à voir avec un effet de mode ou un simple argument de vente. — Pierre HemptinneSur cette trajectoire, elle rencontre son mari, Pierre Thurifays, ouvrier et buveur de bière. Il devient brillant sommelier, inventif. Toujours curieux d’assimiler les fondements de l’œnologie mais y portant un regard neuf, ne craignant pas les audaces, les aspirations non orthodoxes. Un sommelier qui ouvre et élargit le plaisir du boire ! Il paraît que, du fait de ses origines sociales, il était du genre taciturne, pas à l’aise avec le discours, le voici prolixe, habité d’un verbe chanteur et imagé, sommelier passionné au discours non policé, mais précis, argumenté avec gouaille, une langue gouleyante.
En 2013, Arabelle et Pierre quittent la place de Huy pour s’installer sur les hauteurs, en pleine nature, à Marchin. A vol d’oiseau, pas très éloigné du centre. Pour s’y rendre, c’est l’occasion de traverser un quartier où on passe peu souvent si on n’est pas hutois, de grimper un versant bien représentatif d’une ville de province encaissée en bord de Meuse. Par la rue sous le château, traverser le quartier Saint-Léonard et ensuite rejoindre la N698…
La maison est dans les champs et à l’orée des bois, au bout d’un cul-de-sac. On pénètre dans la salle non sans songer à certains salons, décrits par Balzac ou Zola, de personnages dont la réussite n’est pas inscrite dans l’héritage, mais s’est construite par un savoir-faire et un travail qui détournent les codes. — Pierre Hemptinne
Oui, il y a le côté cossu et feutré des grands restaurants distingués, mais pas que. Il y a d’autres marqueurs, mélangés, qui témoignent du goût pour d’autres univers, d’autres normes du confort. Certains pourraient même dire qu’il y a un mixte de bon et de mauvais goûts. Mais ce serait rater l’essentiel. C’est ce mélange, reflet des parcours de vie des maîtres du lieu, qui donne l’impression de ne pas rentrer dans un espace de luxe formaté, mais dans une histoire singulière et consistante.
Les baies vitrées permettent d’embrasser les 3000 mètres carrés de jardin, potager, serres. L‘aire de récolte est prolongée, hors propriété, par les espaces forestiers et champêtres.
Les légumes proviennent de ce jardin. Les plantes qui parfument ou ponctuent les saveurs ne sont pas simplement arrangées dans l’assiette pour faire joli. Elles sont parties intégrantes du plat, de la recette, du bien manger. Elles ne sont pas présentes uniquement sous forme de feuilles et fleurs mais se conjuguent en jus, vinaigres, tisanes, pestos, confits… Ce qui fait que le terroir est, ici, magnifié comme jamais, mais tenant au corps, pas une simple vue de l’esprit. Je retrouve, de façon lointaine, des herbes avec lesquelles mon grand-père, de la région, parfumait certaines potées, ou le genre de plantes sauvages, comestibles, dont nous testions la saveur quand, enfants, nous jouions à survivre dans la nature (pas très loin de là, du côté de Solière). Tout ça, combiné savamment dans une assiette chic, requiert un apprentissage, on a l’impression que les couverts ne se prêtent pas aux usages coutumiers, bien appris. Qu’il y ait en sus un suprême de pigeonneaux, un bout de poulpe ou de porc, l’ensemble est hybride, associe intimement mondes floral, végétal et animal, cela ressemble à un nid, à un bouquet, à un nœud inter-substances. Les différents éléments se saisissent autrement que dans une cuisine ordinaire, la texture de l’ensemble doit s’appréhender, pour rater le moins possible des liaisons subtiles, différemment.
Pierre Hemptinne
photos : page Facebook d'Arabelle Meirlaen - Cuisine intuitive
Arabelle Meirlaen - Cuisine intuitive
7 Chemin de Bertrandfontaine
4570 Marchin (près de Huy)
Cet article fait partie du dossier Huy.
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