Arts, culture et confinement (13) : Madame Bénédicte Linard, Vice-Présidente et Ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des Femmes
- PointCulture : Un virus est un parasite intracellulaire. Il détourne et utilise des métabolismes existants. Comment la crise sanitaire générée par le Covid-19 perturbe le métabolisme d’une Ministre de la culture ? Et comment s’adapte-t-elle ? Qu’est-ce qui change dans l’organisation de son travail, de son projet, de sa mise en place ? Comment le Covid-19 et la crise surgissent dans le quotidien du cabinet, de ses travaux, son agenda ?
- Bénédicte Linard : Depuis plus de trois semaines maintenant, le quotidien de mon cabinet a été totalement modifié. La plupart de mes collaborateurs télétravaillent et toutes les réunions se déroulent en visioconférence. La santé des uns et des autres primant sur le reste. Cela ne signifie cependant pas que mon cabinet tourne au ralenti, bien au contraire.
Parallèlement aux dossiers en cours qu’il faut continuer à faire avancer, tous les secteurs pour lesquels j’ai des compétences ministérielles sont touchés de près ou de loin par les impacts du Covid-19 et, avec mon équipe, nous essayons de trouver des solutions pour leur venir en aide. Chaque jour amène son lot de questions. Chaque jour nous travaillons à trouver des solutions. — Bénédicte Linard
En matière de Santé, je suis représentée au Risk Management Group depuis le début du mois de février. C’est un lieu de coordination entre les niveaux de pouvoir pour gérer le Covid-19 où on peut notamment faire remonter des demandes sur le plan sanitaire. C’est aussi un lieu de concertation entre le monde politique et les experts. Il se réunit quotidiennement depuis plus d’une semaine.
Au niveau de l’Enfance, les milieux d’accueil sont restés ouverts pour maintenir une solution de garde pour les enfants dont les parents travaillent en première ligne ou dans des fonctions cruciales. La fréquentation des milieux d’accueil a bien évidemment chuté et nous avons commencé à mettre en place des premières mesures d’aide financière au secteur.
Les Médias sont aussi en première ligne dans cette crise. Les journalistes et l’ensemble des rédactions travaillent dans des circonstances exceptionnelles et pas faciles pour nous informer. Cela nous rappelle avec force l’importance d’une information fiable et de qualité. Des échanges ont lieu actuellement avec le secteur afin d’évaluer l’impact et les conséquences économiques de cette crise sur les médias.
Enfin, le secteur de la Culture est lui aussi fortement touché depuis que les premières mesures de distanciation physique qui ont été prises. Nous avons lancé une concertation étroite avec les différentes fédérations culturelles pour avoir une vue complète sur les difficultés des acteurs de première ligne et y apporter des réponses. Nous avons également des réflexions plus étroites avec les autres niveaux de pouvoir et relayons les pistes de solutions qui peuvent être portées par le niveau fédéral par exemple. Nous défendons notamment un assouplissement des règles autour du statut d’artiste. — Bénédicte Linard
Nous constatons donc que dans chacune des matières sous ma responsabilité nous devons identifier des réponses spécifiques, rapides, concrètes et efficaces pour faire face à cette crise inédite et exceptionnelle. Je peux vous assurer que toutes les équipes de mon cabinet sont à pied d’œuvre depuis le début de cette crise.
- PointCulture : Les activités culturelles publiques sont annulées. Les lieux culturels, par définition espaces de rencontres et d’échanges sont fermés. L’impact économique est immédiat. Surtout dans le domaine des arts du spectacle, pour les artistes… Pouvez-vous rappeler les mesures que vous prenez à cet égard, dans l’immédiat, et comment vous allez gérer la suite de ces impacts (au moment des évaluations, lors d’éventuels déséquilibres financiers, etc.). Envisagez-vous la mise en place d’une cellule particulière ou d’autres mesures ?
- Bénédicte Linard : Il faudra rapidement penser au redéploiement et à l’après confinement mais le nombre de problèmes et de questions qui se posent et l’importance de l’impact de la crise aujourd’hui sur le secteur culturel mobilise toute mon attention et celle de mes équipes.
Le secteur culturel est fragile et les conditions de travail et de vie sont déjà difficiles pour un certain nombre de ses acteurs. Je pense en particulier aux prestataires finaux : artistes, techniciens. Nous avons pris plusieurs premières mesures de soutien ces deux dernières semaines avec à chaque fois une attention particulière pour ces prestataires finaux. — Bénédicte Linard
Sur le plan économique, la Fédération a créé un fonds de 50 millions d’euros pour les secteurs fragilisés. La culture en fait bien évidemment partie. Les modalités d’accès à ce fonds sont encore en discussion au gouvernement au moment de répondre à cette interview.
Nous avons également décidé de maintenir les subventions pour les opérateurs qui sont dans l’impossibilité de respecter certaines conditions d’octroi et de donner la possibilité d’avancer les liquidations des subventions pour éviter les pertes de trésorerie des opérateurs lésés par la crise. Les interventions pour les tournées Arts et Vie et Spectacle à l’école ont notamment été maintenues malgré l’annulation des représentations.
Parmi les premières autres mesures, une possibilité de prêt d’urgence a également été lancé par le fonds d’investissement St’art pour faire face aux problèmes de trésorerie des opérateurs culturels.
Il s’agit de premières mesures d’aide concrètes qui répondent à des besoins exprimés sur le terrain. Les discussions se poursuivent également pour que les demandes faites au pouvoir fédéral puissent trouver réponse.
Il est évident que dans cette situation inédite de crise, on doit aussi pouvoir donner de la souplesse et avoir une certaine tolérance par rapport aux exigences qui sont inscrites dans les contrats-programme et conventions. L’administration travaille à un assouplissement des normes pour permettre au secteur de souffler.
On ne sortira pas de cette crise inédite du jour au lendemain. L’impact économique sera majeur sur l’ensemble de notre société. Il est essentiel de prendre des mesures fortes maintenant mais aussi de pouvoir anticiper la suite et les problèmes qui se poseront demain comme par exemple l’engorgement du calendrier culturel.
- PointCulture : Mais une partie du secteur, malgré le climat anxiogène, en profite aussi pour « souffler » : prendre le temps de la réflexion, mieux préparer certains projets, mettre à jour des tâches toujours reportées, etc. L’arrêt imposé par la crise sanitaire accentue un élément souvent diagnostiqué : l’accélération de la vie « en temps normal » nuit à la mise en place effective, profonde, des politiques culturelles publiques. Ne faut-il pas profiter de cette crise pour repenser le temps de la culture dans la société et le mode de fonctionnement des opérateurs, renforcer les logiques transversales ?
- Bénédicte Linard : Nous sommes aujourd’hui dans le temps de l’action et de la réaction. À ce titre, je tiens à souligner la maturité et le professionnalisme des acteurs qui répondent avec sang-froid aux mesures de confinement.
Au-delà, cette période doit nous permettre d’identifier les acteurs les plus fragilisés, notamment en culture, et les solutions qui devront être dégagées à moyen terme en leur faveur. D’autres enjeux persistent aussi : quelle place pour les arts émergents, à quand une juste représentation des femmes, quelle place des artistes au sein des institutions, quelle diversité et démocratie culturelle, etc. Ces questions ne peuvent être mises sous l’éteignoir. La transition passera aussi par les réponses que nous apporterons à ces enjeux et les choix que nous poserons progressivement. — Bénédicte Linard
- PointCulture : Pour maintenir une vie culturelle en temps de confinement, pour occuper les personnes « désœuvrées », le numérique et les plateformes sont plébiscitées. N’y-a-t-il pas un danger de captation encore plus intense des usages culturels par ces grandes plateformes ? Quel usage « intelligent » recommandez-vous de ces plateformes (et des autres ressources numériques) ? Quel genre de vie culturelle recommandez-vous en temps de confinement ?
- PointCulture : Pour maintenir une vie culturelle en temps de confinement, pour occuper les personnes « désoeuvrées », le numérique et les plateformes sont plébiscitées. N’y-a-t-il pas un danger de captation encore plus intense des usages culturels par ces grandes plateformes ? Quel usage « intelligent » recommandez-vous de ces plateformes (et des autres ressources numériques) ? Quel genre de vie culturelle recommandez-vous en temps de confinement ?
- Bénédicte Linard : La culture se vit, est faite de liens, de rencontres, d’émotions vécues au théâtre, au musée, en rue, etc. Cela ne s’oppose pas nécessairement à la consommation culturelle numérique. Avoir un accès numérique est intéressant et peut parfois apporter des réponses pratiques. Je pense aux personnes qui ont des difficultés à se déplacer par exemple.
Il faut également que la culture en FWB ne se laisse pas dépasser en matière d’usage par les grandes plates-formes étrangères et principalement américaines. On consomme aujourd’hui de plus en plus de données à travers nos écrans, c’est une réalité. Il est important que nos outils de diffusion culturelle soient à jour, attractifs pour valoriser nos auteurs, autrices, créatrices, créateurs et faire vivre notre spécificité culturelle.
En termes de pratiques culturelles, j’encourage à la diversité. Je ne rejette pas les grandes plates-formes par principe, je pense aux séries et films par exemple, mais j’encourage également à aller au-delà, par exemple, en consultant le catalogue Auvio qui s’étoffe de jour en jour, à découvrir les nouveautés belges sur le site lecinemabelgealamaison.be lancé par le Centre du cinéma et de l'audiovisuel ou via le catalogue d’Uncut.
Je suis vraiment impressionnée par la créativité que je vois éclore autour de moi en cette période de crise par rapport à ce type d’initiatives. Le monde culturel est impressionnant en matière de solidarité et de résilience. — Bénédicte Linard
C’est aussi le cas concernant la lecture et là je souhaite mettre en avant la plate-forme Librel qui permet de commander des livres numériques auprès des librairies francophones belges indépendants – et qui représente donc une très belle alternative à des géants de la vente en ligne –, mais aussi la plate-forme Lirtuel qui permet de louer des livres numériques auprès de nos bibliothèques.
Le confinement n’empêche pas la découverte et c’est réjouissant. Continuer à mettre à la disposition du public notre offre culturelle, c’est aussi une manière de permettre aux opérateurs et aux artistes (ou aux écrivains, éditeurs, musiciens, etc.) de continuer à travailler.
Pour avoir une vue complète de ce qui existe et se consulte, je vous invite à faire un tour sur la page Facebook Culture Quarantaine, ainsi que sur la page culture.be.
- PointCulture : Dans l’esprit de ce qui est exposé plus haut, comment renforcer le secteur culturel ? Le faudrait-il ? Pour qu’il soit plus efficace face aux industries culturelles ? De même que certain·e·s demandent que l’on sorte de la logique capitaliste, que l’on renforce les services publics, que l’on repense une société du soin, solidaire, au lieu de la compétition, en harmonie avec l’ensemble du vivant et protégeant notre biosphère…
Cette crise révèle toute la fragilité de nos sociétés, dont les travers de la délocalisation de nos activités économiques. Nous ne vivons pas qu’une crise sanitaire, c’est aussi une grave crise sociale qui fait ressortir toutes les injustices de la société et met en exergue les désinvestissements structurels de certains secteurs par exemple en matière de soins de santé. On voit à quel point tous ces métiers, à l’arrêt ou au front, les infirmiers et infirmières, les caissières, les assistants sociaux mais aussi les artistes et les techniciens ne sont pas bien payés malgré leur rôle essentiel pour faire vivre notre pays. — Bénédicte Linard
Les combats de demain, c’est aussi de garantir à ces acteurs toute l’attention qu’ils méritent.
La crise ne sera positive que si nous en faisons une opportunité pour redéfinir notre société. Plus qu’une simple « relance » je pense que nous devons penser une réorientation, une transition vers un monde plus juste, solidaire et plus écologique.
- PointCulture : Quels livres, quelles musiques, quels films, quelles autres pratiques culturelles recommandez-vous, en temps de confinement ? Quelle est la playlist qui vous aide à résister, à vous reposer, à trouver de l’énergie ?
- Bénédicte Linard : Je vous avoue avoir peu de temps pour moi dans cette période mais, si j’en avais un peu plus c’est d’abord vers le livre que je me tournerais.
J’ai notamment une passion pour la BD. Je n’ai pas vraiment de styles à suggérer : il y en a pour tout le monde en BD. Chez moi, cela va de Blacksad, Les Vieux Fourneaux, Imbattable, ou encore Il faut flinguer Ramirez. En littérature, c’est pareil, je suis éclectique. Je peux enchaîner Les Bienveillantes puis Le Seigneur des anneaux. L’important est de lire, de pouvoir se construire un imaginaire, découvrir les richesses de la langue également mais surtout prendre du plaisir. En ces temps de confinement et de charge de travail particulièrement dense, je renouvelle aussi mon énergie avec une playlist composée de chansons « énergisantes ».
- PointCulture : Pour l’après confinement, quelle sera votre première initiative en tant que Ministre pour organiser l’après-crise sanitaire, constructivement, avec l’ensemble du secteur, au service du mieux-être de la société ?
- Bénédicte Linard : L’après-confinement sera progressif. Redéployer le secteur culturel se fera pas à pas, en maintenant cette proximité avec les acteurs et actrices de première ligne et en concertation avec le secteur culturel.
Ce qui me manque particulièrement aujourd’hui, ce sont les rencontres avec le terrain. Rencontrer les créatrices et créateurs, les partenaires dans leurs espaces culturels, dialoguer, discuter, dégager des horizons avec eux constituera une des premières initiatives que j’entends ré-instaurer dès que ce sera possible. — Bénédicte Linard
Propos recueillis par e-mail par Pierre Hemptinne
2 avril 2020
Cet article fait partie du dossier Arts, culture et confinement | Interviews.
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