Arts, culture et confinement (14) : Emmanuelle Greindl (Festival d'Art de Huy)
- Anne-Sophie De Sutter (PointCulture) : Le Festival d’Art de Huy se déroule en août, mais est-ce que la pandémie de coronavirus a des conséquences sur son organisation ? Pouvez-vous nous dire concrètement en quoi elle a une influence sur son futur déroulement ?
- Emmanuelle Greindl (Festival d'Art de Huy) : À ce jour, il est très difficile de dire et d’envisager le futur du festival, voire des festivals.
Le 17 mars, tous les supports de communication étaient prêts à partir à l’impression, sentant le vent, j’ai tout mis en attente et avec raison. Ce qui entraîne un retard sur l’information, la communication. Depuis quelques années, nous communiquions et vendions les places dès le mois de mars. — Emmanuelle Greindl
Dire que c’est un manque à gagner, je ne suis pas certaine, je crois que si le Festival peut avoir lieu, le public aura soif de culture et de musique et sera présent mais aussi dans une démarche de soutien aux artistes.
Par ailleurs, le Festival a une programmation internationale également, entre 30 et 40 % des groupes sont étrangers. Et c’est là que se situent nos craintes à ce jour. Il est difficile d’envisager une réouverture en masse des frontières tenant compte des mesures sanitaires différentes dans tous les pays. Dès lors, il se pourrait que nous soyons amenés à annuler tous les groupes étrangers. Nous en avons déjà supprimé un malheureusement.
- Depuis combien de temps travailliez-vous sur l’organisation du festival ? Avez-vous envisagé la possibilité d’une annulation ou d’un report ?
- Aussi petit que soit le Festival, je travaille un an sur la préparation de celui-ci. Et, oui nous avons envisagé l’annulation du Festival et cela dépendra des décisions sanitaires mais surtout (pour le mois d’août) de l’autorisation d’avoir des rassemblements de personnes. Dans le cadre d’un festival d’été, reporter dans notre cas sera impossible.
- Tout cela a un coût très certainement, implique des conséquences financières néfastes ? A quel point celles-ci sont-elles préoccupantes pour votre structure ? Pensez-vous pouvoir vous en sortir sur vos propres moyens ou la situation risque-t-elle de nécessiter une aide extérieure extraordinaire (si oui à quel type d’aide pensez-vous) ?
- À ce jour il n’y a encore aucune conséquence financière néfaste. Si nous étions amenés à annuler des concerts, voire même le Festival, nous serions amenés à avoir des soucis de trésorerie. Quels seraient les dommages pour les artistes, comment payer les salaires, comment dédommager les hôtels réservés depuis janvier ? Actuellement, je suis encore rémunérée et ai encore du travail mais si la situation se prolonge il se pourrait que je me retrouve au chômage, ce serait une première pour moi à 61 ans...
Les aides extérieures seront sollicitées en fonction des besoins. J’ai introduit des demandes de subsides à différents organismes et espère vivement que ceux-ci tiendront compte de la situation et répondront favorablement aux demandes (Sabam, Loterie nationale, Play Right, etc. ). Mais restons positifs aussi, notre structure est une petite structure qui fonctionne grâce à des partenariats locaux et l’impact financier ne sera pas gigantesque.
- D’autres franges de la population (sans domicile fixe, personnes âgées, personnes seules, etc.) vivent la crise actuelle de manière encore plus aiguë. Avez-vous pris vous-même ou avez-vous entendu parler d’initiatives du milieu artistique ou culturel pour venir en aide à ces groupes fragiles de la société ?
- Oui, je vois depuis le tout début de cette crise sanitaire un mouvement de solidarité général de la part des artistes de tous côtés et particulièrement dans les villes. Je vis à la campagne et suis donc un peu coupée du rythme et de la vie des villes, mais je vois à travers les médias que la dynamique est intense. Le milieu culturel s’est très vite mobilisé pour rendre accessible en ligne des expositions, des concerts, des représentations théâtrales… je vois des artistes qui proposent des concerts en live certains soirs et le tout gratuitement. Je vois un mouvement de solidarité de la part des familles pour les personnes âgées (oubliées de cette crise) dans les homes (dessins, bricolages…). Personnellement j’ai mis en place un mouvement solidaire dans mon quartier afin de pouvoir soutenir et venir en aide aux personnes dans le besoin.
- Au-delà de ses côtés handicapants ou inquiétants, pensez-vous que cette période de confinement forcé peut aussi déboucher dans votre cas sur des éléments positifs, par ex. dégager du temps pour prendre du recul, pour régler des chantiers en attente depuis très longtemps… ?
- Oui bien sûr cette période est une expérience qui renforce ma vision et ma pratique de la résilience. Je ne m’ennuie pas du tout, je n’ai pas nécessairement plus de temps qu’avant mais je m'attarde plus à l’essentiel et les liens, la relation aux autres est ce qui me semble être encore plus essentiel.
- Comment avez-vous occupé ces premiers jours de vie confinée, qu’avez-vous écouté, regardé, lu ? Êtes-vous jusqu’ici très dépendante d’Internet, des contenus en ligne ou arrivez-vous aussi « à décrocher », à écouter des disques, lire un livre, jouer d’un instrument…
Les premiers jours de confinement ont été une expérience intense et tout à fait personnelle mais qui m’ont ouvert les yeux sur ce qui était une réalité bien pire pour une frange de la population (les décès de personnes malades du Covid-19). Un décès proche dans la famille nous a secoués. Vivre le deuil dans la distance, sans le contact physique, sans prendre vos proches dans les bras est quelque chose de cruel et inhumain. — Emmanuelle Greindl
Je ne me sens pas dépendante d’internet mais néanmoins trouve que les réseaux peuvent être utilisés de manière très soutenante dans cette période. Que ce soit dans le domaine privé ou professionnel. Je n’ose plus compter le nombre de messages WhatsApp que j’ai reçus ou envoyés que ce soit en famille ou aux amis.
J’ai beaucoup lu les infos, je suis abonnée à différents journaux et trouve qu’il est nécessaire de garder un esprit critique et recouper les infos. Nous apprenons aussi beaucoup à travers cette crise sur le fonctionnement des médias. Je marche au moins deux heures par jour, je fais du vélo, j’ai lu énormément (L’effet Louise de Caroline Boudet, Otages de Nina Bouraoui, Dans les geôles de Sibérie de Yoann Babrbereau, De sang et de lumière de Laurent Gaudé, Inventer sa vie de Jean-Louis Etienne, Le Pays des autres de Leîla Slimani, etc. ), je scanne tous les albums photos de notre enfance.
J’écoute beaucoup de musique, mais ça ne me change pas sauf que je réécoute des CD oubliés ou des concerts mis en ligne, c’est du bonheur ! Je jardine énormément, le lien à la nature est vital pour moi, mon jardin n’a jamais été aussi en état à cette période. Avec mes frères et sœurs je m'occupe de notre maman, seule et âgée de 87 ans.
Si les journées pouvaient être plus longues ce serait bien aussi !
Festival d'Art de Huy, du 19 au 23 août 2020 (sous réserve)
Propos recueillis par Anne-Sophie De Sutter, via mail
Cet article fait partie du dossier Arts, culture et confinement | Interviews.
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