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Arts, culture et confinement (16) : Armel Roussel (metteur en scène)

Armel Roussel - compagnie (e)utopia - L'Éveil du printemps
Une tournée à moitié annulée, des projets en suspens, Armel Roussel et la compagnie [e]utopia s’inquiètent de cette crise, loin de n’être que sanitaire…

Metteur en scène et artiste associé au Théâtre Les Tanneurs, Armel Roussel et la compagnie [e]utopia nous ont habitués à un théâtre vibrant, explosif, sulfureux et romantique où il met à l’honneur de grandes distributions. Il aime surprendre ou désarmer son public en instaurant avec lui un travail de résonance, parfois par les mots, seuls au centre de la représentation, parfois par la simple force de ses images. De toutes les multiples questions qu’il pose, la société et le présent sont les terrains de sa préoccupation. La situation actuelle, qui est la cause de l’annulation de la moitié de sa tournée internationale, n’est pas sans conséquences financières et intellectuelles.


- PointCulture : Pouvez-vous nous dire en quoi la pandémie de coronavirus a touché vos activités et vos projets ?
- Armel Roussel : Nous reprenions L’Éveil du Printemps (production indépendante de [e]utopia réalisée en coproduction avec le CDN Normandie-Rouen et le Théâtre National Wallonie-Bruxelles- créée en mars 2018 à Rouen, France). La reprise avait lieu au Théâtre de La Tempête à Paris pour vingt-huit représentations du 27 février au 29 mars. Elles se sont arrêtées le vendredi 13 mars, après treize spectacles.


Puis nous devions reprendre et tourner Long Live the Life That Burns the Chest (production indépendante de [e]utopia réalisée en coproduction avec le Théâtre Les Tanneurs et le Vaba Lava Performing Art Center de Tallinn - créée en septembre 2020 là-bas en Estonie). La reprise devait avoir lieu d’abord en Inde pour huit représentations : trois au théâtre Indianostrum à Pondicherry, trois au Théâtre Jagriti à Bangalore et deux au Clusters Institute of Media and Technology à Coïmbatore.
Durant cette période, devaient également avoir lieu des répétitions en Inde pour un nouveau spectacle qui réunit des acteurs belges et indiens.
Puis il y avait encore une représentation le 13 juin au Monodrama Festival à Luxembourg qui est actuellement suspendu.
Nous perdons donc vingt-quatre évènements et une période de répétitions.

- Quand aviez-vous commencé à travailler sur les spectacles qui devaient avoir lieu dans les derniers jours ? Espérez-vous les postposer ou devez-vous malheureusement en annuler ?

- Pour organiser L’Éveil du Printemps à La Tempête, les premiers rendez-vous ont eu lieu en septembre 2018, la réponse définitive et positive en décembre 2018, les réunions financières et techniques tout au long de l’année 2019, l’organisation d’emploi et de déplacement de l’équipe (vingt-quatre personnes dont dix-huit sur toute la durée) s’est faite depuis octobre 2019. Nous avons repris les répétions le 10 février puisque nous n’avions pas joué ce spectacle depuis un an et demi et qu’il y avait aussi remplacement de rôles. À ce jour, nous ignorons si les quinze dates non présentées vont être reconduites à La Tempête.
Pour organiser la tournée de Long Live the Life That Burns the Chest en Inde, nous travaillons dessus depuis un an. La tournée est reportée à février 2021 en tentant de la développer encore davantage.
La date luxembourgeoise a été décidée en décembre 2019. Elle est reportée à priori à juin 2021.

- Tout cela a un coût et des conséquences financières : à quel point celles-ci sont-elles préoccupantes pour vous ? Comment pensez-vous pouvoir vous en sortir ? La situation risque-t-elle de nécessiter une aide extérieure extraordinaire ?

Armel Roussel - compagnie (e)utopia - petite image

- [e]utopia est une compagnie indépendante subventionnée. Cela crée des possibilités mais dans un cadre budgétaire très rigoureux vu l’ampleur de nos activités.


L’Éveil du Printemps à La Tempête se faisait en coréalisation (c’est la manière dont travaille ce théâtre). Au-delà d’un apport, nous avons reçu l’aide de Wallonie-Bruxelles International (WBI) et de La Ville de Paris, après de longues procédures d’introduction de dossiers. Nous étions aussi intéressés par les recettes. L’estimation des recettes, préalable à notre venue, s’est basée sur une moyenne de rentrée des spectacles joués à La Tempête depuis trois ans. Sur une série à La Tempête, 70 % des recettes se fait généralement sur les deux dernières semaines d’exploitation. Et nous avons été arrêtés en plein milieu. De plus le spectacle recevant un très bon accueil et une très bonne presse parisienne, nos attentes financières allaient être largement dépassées. La perte est donc conséquente.

Nous sommes encore actuellement dans les chiffres, en train de faire les comptes, mais nous pouvons estimer nos pertes à La Tempête aux alentours de 70 000 euros. Nous avons mis fin le 16 mars aux contrats de tout membre de l'équipe qui disposait du statut d'artiste pour réduire ce manque à gagner d'un peu moins de la moitié. Nous avons maintenu les contrats des membres avec un statut plus précaire afin que ceux-ci ne se retrouvent pas dans une situation intenable.

Pour L'Inde, nous avons pu globalement récupérer la situation sans trop de frais. Mais le remboursement ou l’échange des billets d'avion est en cours de négociation et si les compagnies aériennes sont globalement correctes, les agences en ligne comptent des frais scandaleusement élevés d'annulation ou d'échange des tickets. Seul le travail préparatoire technique et de production sera lui à perte. Si le problème des billets d’avion n’est pas réglé, avec les factures préparatoires déjà réglées, nous en aurons pour environ 10 000 euros de perte.

Nous pouvons estimer globalement les pertes pour [e]utopia pour la période de mars et avril au montant approximatif de 50 000 euros en tout. Soit 20 % de notre subvention. Et ceci sans compter la perte sévère pour les artistes qui se retrouvent au chômage. Sans cette mise au chômage forcé, nous en aurions pour plus de 100 000 euros de perte. Nous n’avons pas pris le risque d’attendre de voir si le chômage technique allait être appliqué pour les artistes.

Si aucune aide extraordinaire n’est dégagée, ce sont les deux saisons suivantes qui seront impactées et nous serons contraints sans doute soit de supprimer une création, soit de réduire nos volumes d’emploi artistiques, soit de limiter les tournées en coréalisation, soit d’annuler notre participation à des productions de jeunes projets, comme nous le faisons depuis quinze ans. Se posera également la question de nos missions telles que définies par notre contrat-programme puisqu’au-delà des pertes de dates et d’emploi sur mars-avril 2020, cela entraînera d’autres pertes de dates et d’emploi sur les saisons à venir. Nous comptons donc sur une intervention du Ministère qui, nous l’espérons, aura une attention particulière sur les compagnies indépendantes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

- D’autres franges isolées ou défavorisées de la population vivent cette crise de manière aiguë. Avez-vous entendu parler d’initiatives du milieu culturel pour venir en aide à ces groupes fragiles de la société ?

- Oui. C’est la seule chose qui m’a fait sortir le nez de mon travail. Mais considérant que cela relève de mon engagement privé en tant qu’homme et citoyen et non en tant que professionnel de la culture, je préfère ne pas m’exprimer sur ces questions dans une interview qui porte sur les répercussions de cette crise sanitaire sur le secteur culturel.

- Pensez-vous que cette période de confinement peut déboucher dans votre cas sur des éléments positifs, comme dégager du temps ou régler des chantiers en attente depuis longtemps ?

Je suis confiné chez moi depuis deux semaines. Pour le moment, j’ai dû travailler en production douze heures par jour depuis le début du confinement. Alors je n’ai pas encore eu le temps de me poser ce type de questions. Quand mon temps se dégagera, j’aurai beaucoup de travail artistique à préparer. Je verrai alors si cette situation m’amène des aspects positifs sur la conception même des travaux et spectacles. Pour le moment, je suis incapable de répondre à cette question — Armel Roussel, compagnie [e]utopia

- Comment occupez-vous vos journées confinées ? Êtes-vous dépendant d’Internet et arrivez-vous aussi à « décrocher » (écouter des disques, lire un livre, jouer d’un instrument, etc. ) ?

- Comme dit précédemment, j’ai jusqu’ici essentiellement travaillé en production toute la journée. Avec des séances en télétravail avec l’administratrice de la compagnie.

J’ai par ailleurs attaqué toute l’organisation du cycle de mises en voix radiophoniques que je dirige tous les ans pour Radio France Internationale au Festival d’Avignon. J’ai donc beaucoup lu de pièces de théâtre, essentiellement africaines et commencé à imaginer les créations... sans savoir ni si le festival aura lieu ou pas ni si je serai payé pour le travail que je réalise en ce moment. — Armel Roussel

En fait, si ce n’est l’immense perte des tournées, je ne peux pas dire que ma vie n’ait été jusqu’ici vraiment transformée par le confinement. Je travaille toujours autant mais uniquement à partir de chez moi. Je me dis qu’il me faudrait plus de collaborateurs à qui déléguer mais je n’en ai pas les moyens.

Armel Roussel

> site compagnie [e]utopia


propos receuillis par e-mail par Jean-Jacques Goffinon (première semaine d'avril 2020)

photo de bannière : L'Éveil du printemps, cie [e]utopia

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