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Arts, culture et confinement (12) : Jean-Michel D’Hoop et Nathalie Kamoun (Cie Point Zéro)

"L'Herbe de l'oubli" - compagnie Point Zéro  - © Véronique Vercheval
Jean-Michel D’Hoop est un voyageur de l’intime. Toujours accompagné par ses créatures, des marionnettes aux longs cous, dont les visages reflètent plus l’esprit que le corps, il crée des spectacles poétiques pareils à une exploration de l’être humain, des moindres recoins de son âme à ses démesures parfois les plus effrayantes.

Avec L’Herbe de l’oubli, il relate l’après Tchernobyl. Un monde ou les hommes vivent sur une terre dévastée, outragée par les radiations, une maladie invisible et inodore qui se transmet à tous sans discrimination… N’avons-nous pas ici, devant nos yeux, une triste ressemblance avec notre réalité « covidienne » ?


Cie Point Zéro : lorsque la fiction devient le réel

- PointCulture : Votre dernier spectacle a vu sa tournée écourtée avec le Covid-19 ?

- Jean-Michel D’Hoop et Nathalie Kamoun (cie Point Zéro) : Depuis septembre dernier, nous sommes en tournée avec L’Herbe de l’oubli, notre dernière création créée en coproduction avec le Théâtre de Poche. Après une tournée en région Loire-Atlantique début mars, nous nous dirigions vers la région parisienne pour trois représentations dans trois lieux différents. Une de ces trois structures avait d’abord pris la décision d’annuler (nous n’étions pas encore en période de confinement strict : seuls les rassemblements de plus de 1000 personnes étaient interdits en France).

Puis, finalement, ils ont choisi de maintenir la représentation en limitant la jauge à 50% de remplissage. L’idée étant de laisser un siège vide entre chaque spectateur. Nous avons donc honoré le contrat, dans un contexte plus qu’étrange. Notamment, aussi, parce que le sujet de notre spectacle, qui traite de la catastrophe de Tchernobyl et de l’invasion d’un mal invisible, inodore et incolore prenait, en raison de la pandémie, un tout nouveau sens… — Jean-Michel D’Hoop et Nathalie Kamoun

Le lendemain, l’équipe technique était en montage dans le deuxième lieu. En fin de journée, le couperet est tombé et la représentation fut annulée. Ce fut la première annulation d’une longue série qui allait suivre… Heureusement, nous étions en fin de tournée, avec plus de 130 représentations à notre actif.

Une dizaine de dates annulées sont à déplorer, principalement en France mais également en Italie et en Tunisie.

"L'Herbe de l'oubli" - compagnie Point Zéro

- Depuis combien de temps travailliez-vous sur cette tournée ?

- Il n’est pas évident de préciser depuis combien de temps nous travaillons à cette tournée. Le spectacle a été créé au Théâtre de Poche en janvier 2018. Nous avons eu la chance d’être sélectionnés aux Doms, scène francophone du théâtre belge en Avignon, pour l’édition de juillet du festival. Cette programmation a été très porteuse et, grâce aux efforts conjoints du Théâtre de Poche et de Point Zéro et à la mise en commun de nos réseaux de diffusion, nous avons pu bâtir une tournée internationale d’environ six mois, s’amorçant en Chine en septembre 2019 et se clôturant en Tunisie fin avril 2020, en passant par la Corée, la France, la Belgique ou encore l’Italie.

À l’heure actuelle, nous n’avons aucune garantie de report de dates. Une programmation repose sur beaucoup de paramètres et il est devenu très complexe pour la majorité des structures qui composent les saisons jusqu’à deux voire trois ans à l’avance, de dégager de nouveaux créneaux. Des possibilités sont actuellement évoquées dans certains cas mais rien ne dit que l’équipe du spectacle, dont les membres sont par ailleurs engagés sur d’autres projets, seraient à nouveau disponibles la saison 2021-2022 pour une reprise. Outre les questions intrinsèques à la mise sur pied d’un tel projet : organisation de répétitions en amont, reprises de rôles le cas échéant, etc.

- Financièrement, quel en est l’impact ?

- Évidemment, ces annulations en cascade ont un impact financier. Une compagnie repose sur un équilibre fragile entre ses dépenses dites « structurelles » et ses dépenses « artistiques ». Dans notre cas, nous avons la chance de bénéficier d’un contrat-programme avec la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce qui n’est pas le cas de toutes les compagnies. Beaucoup d’entre elles ne fonctionnent qu’au projet, donc reposent sur un ratio charges-produits, lui-même dépendant, en grande partie, de dates de tournée ou d’apport en coproduction de partenaires institutionnels. Lorsque des dates s’annulent, les contrats CDD qui en découlent sont par nature extrêmement fragilisés. Notamment aussi parce que ces contrats annulés ne peuvent, à l’heure actuelle, être couverts par la mesure de chômage temporaire de force majeure proposée par le gouvernement. Celle-ci étant accessible uniquement aux emplois longue durée ou aux CDD artistes « suspendus », donc déjà en cours à la date du 13 mars. Ce qui ne rencontre absolument pas la réalité des contrats intermittents.

Sollicité par de nombreuses Fédérations professionnelles du secteur, le cabinet de la Ministre Bénédicte Linard – dont dépend le portefeuille de la Culture depuis peu – a pris des mesures encourageantes destinées à minimiser le désastre actuel : maintien - dans le cas des dates annulées - des subventions ponctuelles d’aide à la diffusion destinées aux compagnies (Art & Vie et Théâtre à l’Ecole qui sont des interventions forfaitaires par représentation allouées en cas de tournée en Belgique dans les Centres culturels), constitution d’un Fonds d’urgence, simplification administrative visant à accélérer la liquidation des subventions prévues. — Jean-Michel D’Hoop et Nathalie Kamoun

Le Ministère de la culture en France a également encouragé les théâtres subventionnés à maintenir les cachets des dates annulées afin de garantir l’emploi artistique. Pour ce qui nous concerne, cet appel a été majoritairement entendu et adopté par les théâtres qui accueillaient le spectacle. Le maintien de la plupart des cachets nous permet d’honorer 95% des contrats prévus pour toute l’équipe. Ce qui est rare dans le secteur. Nous mesurons notre chance. Nous recourons par ailleurs, pour une très courte durée, au chômage de force majeure; cette mesure nous permettant de maintenir les contrats sur toute la durée prévue initialement.

Enfin, nous ne pouvons encore évaluer l’impact à moyen et à long terme de ces annulations. Chaque date donne une visibilité au spectacle et offre une possibilité de reprise dans un autre théâtre. En ce sens, des dates potentielles de tournée peuvent être perdues.

Une autre inquiétude est la levée de fonds via le régime Tax Shelter. Aujourd’hui, beaucoup d’opérateurs de la FWB (compagnies et structures) bouclent nombre de productions grâce à cette manne d’argent supplémentaire, qui représente environ 30% du budget global des créations. Il ne fait nul doute que la situation actuelle, qui est une crise sanitaire avec des répercussions économiques fortes, va impacter fortement les possibilités d’investissement des entreprises et pourraient donc fragiliser encore davantage l’emploi artistique.

- D’autres franges de la population vivent la crise actuelle de manière encore plus aiguë. Avez-vous pris vous-même des initiatives ou avez-vous entendu parler d’initiatives du milieu artistique ou culturel pour venir en aide à ces groupes fragilisés de la société ?

- Difficile, à cette heure, de développer une concertation nous permettant de nous projeter au-delà des nombreuses questions liées au difficile maintien de l’emploi artistique dans son ensemble. À notre connaissance, les initiatives sont plutôt personnelles.

Nous pouvons néanmoins saluer deux très belles initiatives portées par deux artistes proches de la compagnie.

Émilie Guillaume qui est comédienne, circassienne et également pédagogue a mis en place, via son compte Facebook, des séances quotidiennes d’entrainement « abdo-fessiers » qui permettent, via les donations de ses élèves virtuels, une récolte de fonds destinée au CHU Saint-Pierre et à l’achat de respirateurs. En à peine quelques jours, + de 1000€ ont été récoltés… et tout cela dans la sueur et la bonne humeur !

> sa page Facebook ~ cagnotte pour le CHU Saint-Pierre ~ appel aux dons du CHU Saint-Pierre

Son compagnon, Felipe Salas, circassien d’origine colombienne et également pédagogue, propose actuellement des cours d’équilibre sur les mains via son compte Facebook « Salt & Water » et a mis en place une cagnotte destinée à une association colombienne qui travaille à améliorer les conditions de vie des enfants vivant dans la pauvreté extrême des favelas.

> sa page facebook ~ cagnotte pour l'association colombienne active dans les favelas

-Pensez-vous que cette période de confinement forcé peut aussi déboucher sur des éléments positifs, par exemple, dégager du temps, régler des chantiers en attente depuis très longtemps ?

- La relation au temps est réellement bouleversée actuellement. C’est une situation inédite et nous devons composer au mieux avec ce nouveau quotidien. Édicter de nouvelles règles du vivre ensemble. Pas évident de concilier obligations professionnelles et vie familiale, espaces de solitude et moments partagés. Pour certains, les espaces de vie sont très restreints et les difficultés s’amoncellent.

Il ne faut pas oublier que le théâtre est un art collectif qui se nourrit d’échanges. Le mythe de l’artiste solitaire dans sa mansarde est quelque peu dépassé aujourd’hui. En témoignent les artistes, de plus en plus nombreux, à s’exposer sur la toile, en recherche de contacts et donc de publics, même virtuels. — Jean-Michel D’Hoop et Nathalie Kamoun

Plutôt que de créer de l’espace, la situation a engendré énormément de travail supplémentaire pour la compagnie.

- Comment avez-vous occupé ces derniers jours ? Êtes-vous jusqu’ici très dépendant d’Internet ?

- Nous nous sentons extrêmement dépendants du net et du téléphone.

Même en période de confinement les échéances courent toujours : les artistes sont en attente des résultats des commissions, d’autres postulent à la tête de théâtres dont les directions se libèrent prochainement, ou encore écrivent des dossiers de demande ou de justification de subventions.

Sans parler de l’évolution du virus, qui accapare nos esprits.

Comment, dans ce contexte, arriver à « décrocher » ??


N’hésitez pas à suivre la Compagnie Point Zéro sur leur site et surtout restez à l’affût, de nouvelles créations se préparent…

propos recueillis par e-mail par Jean-Jacques Goffinon
auprès de Nathalie Kamoun (production manager) et de Jean-Michel d’Hoop (directeur artistique)

photo de bannière : L'Herbe de l'oubli - (c) Véronique Vercheval

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