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Arts, culture et confinement (2) : Olivier Gevart (galerie Été 78)

Peter Downsbrough a la galerie Été 78 (Ixelles)
Le milieu culturel est un réseau économique qui encaisse le confinement comme d’autres secteurs. C’est aussi un réseau de lieux et d’individus qui pensent et réfléchissent nos modes de vie (la culture). Nous avons posé quelques questions à Olivier Gevart, représentant d’Été 78, espace d’exposition.

Comment vit-on ce qui se passe au niveau où il travaille avec les artistes ?

Il nous livre quelques « réflexions et expériences personnelles liées à [son] ressenti en tant que personne, en tant qu’animateur de l’Été 78, en tant que collectionneur… et père de trois jeunes enfants (ce qui permet de relativiser certaines choses) ».


- Pierre Hemptinne (PointCulture) : Qu’est-ce qui était en train de se passer dans l’espace d’Été 78 quand surgit l’épidémie et le confinement ? Qu’est-ce qui s’interrompt et avec quelles conséquences ?

- Olivier Gevart (Été 78) : Comme chaque année et pour la septième fois, nous invitons, à l’Été 78, trois collectionneurs à présenter quelques pièces de leur collection. Le vernissage était prévu le 28 mars. Nous l’avons à priori reporté au 25 avril. Si la situation perdure nous le reporterons en mai ou début juin si nécessaire. Les œuvres sont dans la salle, partiellement accrochées. Mais comme je réalise l’accrochage avec les collectionneurs, celui-ci est interrompu pour le moment. C’est aussi l’occasion de repeindre le lieu, réparer ce qui doit l’être, réaménager le stockage, le local technique.

- Quels impacts économiques ou spirituels ? Avec quel état d’esprit affronter ce qui vient ? Que faut-il amorcer ?

- S’agissant d’un lieu de mécénat, il n’y a pas de conséquence économique vitale ou fatale. C’est plus du côté psychologique que quelque chose se passe. Il faut garder l’énergie et l’enthousiasme. Continuer à être exigeant dans ses choix. Se demander comment on peut continuer à soutenir les artistes, continuer à interagir avec la communauté, continuer à développer les projets en cours (« Serendipity » entre autres, une revue initiée par Été 78 et qui connaîtra trois numéros), à en provoquer de nouveaux. Continuer car l’art est indispensable quelles que soient les conditions. Continuer en modifiant, en adaptant, en innovant, en réagissant et en agissant. D’une manière ou d’une autre, l’Été 78 poursuivra ses activités de soutien et de diffusion de l’art actuel.

Je pense qu’il est encore beaucoup trop tôt pour comprendre les impacts immatériels d’une telle crise : l’art sera-t-il considéré comme un luxe dans les conditions actuelles ? Y aura-t-il encore des visiteurs, des échanges ? Quelles vont-être les priorités immédiates, à court terme, à moyen terme, à long terme ? Comment les artistes vont-ils réagir, vont-ils être visibles, vont-ils être rémunérés ?

Comment la pensée créatrice va-t-elle s’exprimer ? Qu’est ce qui va changer si cette crise perdure ? Comment vont réagir les artistes, les galeries, les lieux d’art, subsidiés ou non ? — Olivier Gevart

Il y aura évidemment des catastrophes financières et matérielles, sans doute même à court terme pour les plus petites structures. Mais je suis certain qu’il y aura aussi de très belles réactions, de belles, riches et formidables nouvelles créations comme tout « événement-rupture » en provoque toujours.

galerie Éte 78 (Ixelles) - printemps 2020

- Le recours le plus « naturel » est d’investir les plateformes, les outils numériques, les réseaux sociaux. Cette volonté du contact permanent n’accélère-t-il pas une dépendance à la technosphère ? Alors que la relation à l’art, le fait de se cultiver, ont toujours été familiers d’un certain « confinement », expérience de la solitude (ce qui n’exclut pas le partage) ?

- Il est en effet assez frappant de constater que les réactions immédiates des structures plus importantes ont été de se tourner vers la mise en ligne virtuelle de leur exposition physique. Idem pour les foires créant des viewing rooms virtuelles. Comme s’il fallait immédiatement occuper le terrain, garder un contact à tout prix. Les plus petites structures n’ont pas ces moyens et vont prendre le temps d’absorber si possible le choc et de réagir. Je l’espère avec quelque chose de différent, même si ce doit être virtuel et à distance. N’est-ce pas l’occasion pour se refocaliser sur le contenu (qu’il soit esthétique, poétique, émotionnel, social, politique, réflexif…) ? Par exemple en créant une discussion autour d’une œuvre, avec un artiste, avec un collectionneur, avec un regard neuf. Créer une nouvelle forme d’échanges, basée sur du contenu en associant artiste-curateur-personne externe. Parler de la vie de la galerie, d’expériences avec des artistes, de rencontres particulières… Continuer à créer de l’échange, du lien, de l’émotion, de la connaissance, de la réflexion…peut-être en faisant abstraction des ventes dans un premier temps.

C'est peut-être l’occasion d’aller plus loin, plus en profondeur, avec plus de pensée latérale. L’art n’est pas une épiphanie et je ne crois pas à « l’art pour l’art ». — Olivier Gevart

Je pense qu’il est inutile dans les conditions actuelles de vouloir vendre des œuvres à distance en adaptant simplement le modèle physique au modèle virtuel. Personnellement, je suis incapable de regarder, me plonger dans une œuvre à distance (sauf peut-être l’art vidéo). Recevoir des fichiers PDF, avoir la possibilité de visiter on line une exposition me permet de me faire une idée, surtout pour des artistes que je connais déjà. Mais cela ne va pas plus loin. Notre relation à l’art (le découvrir, le regarder, l’absorber…) doit être beaucoup plus fondamentale que cela. A contrario, le web, le virtuel vont certainement voir émerger (encore plus) de nouvelles formes de création. L’édition également.

- Un virus – la nature – remet en cause un système économique, esthétique. N’est-ce pas le moment pour inventer, repenser les façons d’élaborer des modèles culturels, par d’autres modalités d’échanges, de mises en commun ? Et de repenser la place de la culture comme il faudrait repenser la place des services publics ?

- L'enjeu serait alors - sans se rassembler physiquement autour d’une œuvre, d’une exposition, d’une présentation - de continuer à créer ces échanges, ces constructions, cette attention au monde, à l’autre, aux événements, ces possibilités d’enrichir son être, son savoir, sa pensée. L’édition, le livre, me semble être un beau medium et Serendipity n’en prendrait alors que plus de sens en effet. Favoriser ce qui se base sur le travail collaboratif, des échanges à distance sur un sujet (plutôt qu’en salle de rédaction, réunis autour d’une table comme nous l’avons fait en février), des débats sur le contenu avec les artistes invités pour aboutir à un objet à diffuser (même éventuellement par la poste).

Mais il faut laisser le temps à tout un chacun de réagir. Tout a été tellement soudain ! Et la priorité actuelle est la santé de tous, sans aucun doute. La question du financement de la culture, des artistes, des structures, de la création, de la diffusion, va sans doute être évoquée à nouveau, plus tard, pour le pire et le meilleur.

Je profite aussi de ce moment pour me replonger dans des livres d’artistes, des monographies, des catalogues d’exposition qui m’ont marqué, qui me font réfléchir, qui m’apaisent. Qui peuvent apporter une paix intérieure à reporter sur notre extérieur. Redécouvrir ou rechercher certains artistes un peu oubliés de la collection sur le web également.

Me demander ce qui va émerger côté création une fois la sidération passée. Ce qui va être dit, provoqué, créé par les artistes. Quels rapports allons-nous avoir avec les œuvres ? Avec les autres ? Avec le temps ? — Olivier Gevart

Pour ma part, pour le moment, ma tête, mon cœur et mon corps sont en grande partie encore en situation de sidération.

Propos recueillis par e-mail par Pierre Hemptinne

À visiter après le confinement :

Été 78
78 rue de l'Été
1050 Bruxelles (Ixelles)

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