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Arts de la scène et jeune public : Pierre de Lune

Pierre de Lune 2
Un entretien avec Sybille Wolfs, médiatrice au Centre Scénique Jeunes Publics de Bruxelles.

PointCulture : Pourriez-vous d’abord décrire Pierre de Lune ? Quelles activités proposez-vous ?

Sybille Wolfs : Pierre de Lune a été créé en 1979, son appellation officielle est : « Centre Scénique Jeunes Publics de Bruxelles ». Notre ASBL s’adresse essentiellement aux élèves, de l’école maternelle jusqu’à la fin du secondaire. Mais nous nous adressons aussi au tout public. Nous avons deux volets d’activités. D’une part, le volet « programmation », qui propose une offre de spectacles à l’intention du jeune public, des familles et des écoles, soit pendant le temps scolaire, soit en dehors. D’autre part, le volet « médiation », qui propose des ateliers en arts de la scène sous forme de résidences d’artistes dans les écoles. Dans ce deuxième cas, les artistes viennent dans une classe toute une année pour mener, avec les élèves et leurs enseignant·e·s, un processus de création autour d’un langage artistique. Cela concerne le théâtre, la danse, l’écriture, la création radiophonique et la musique. En dehors de ces projets, nous proposons également une médiation dans les hautes écoles, c’est-à-dire pour les futurs enseignant·e·s, parce que le programme ECA – PECA n’est pas encore inscrit dans leur cursus. Si ce gros travail de base n’est pas fait, on va devoir constamment former les enseignant·e·s qui sont déjà en place, en formation continue, alors que c’est à la base que cela doit être fait.

« Un travail dans l’espace par la danse avec un·e chorégraphe peut trouver son prolongement dans un cours de géométrie. — »

Vous proposez également une formation aux artistes amené·e·s à travailler avec des élèves. S’agit-il de donner à ces artistes un bagage pédagogique dans cette perspective ?

- Ce n’est pas vraiment une formation pédagogique au sens strict. Ce que nous proposons, ce sont des formations de deux jours, à destination des enseignant·e·s et des artistes intervenant en milieu scolaire, autour du projet en arts de la scène qu’ils mèneront ensemble en classe. Durant ces formations, les deux parties vivent des moments de pratiques artistiques concrètes (danse, théâtre, écriture…) auxquels succèdent des moments réflexifs sur la mise en œuvre de ces expériences avec des élèves dans une classe. On ne forme pas réellement les artistes mais on les fait travailler directement avec les enseignant·e·s. Notre rôle est de les encadrer, de les aider à s’outiller pour pouvoir transmettre leurs propres matières aux élèves.

La finalité n’est-elle pas de rapprocher ce qui relève de la créativité d’une part, et de la transmission de l’autre ? On dirait qu’il s’agit de trouver un territoire commun entre ces deux domaines, l’un propre à l’activité artistique, l’autre propre à l’enseignement.

- Oui, c’est l’idée de trouver un territoire commun. Les artistes qui vont dans une classe pour transmettre leur matière, leur univers et leur langage n’ont pas toujours la fibre pédagogique. Leur processus est plus organique et de l’ordre du sensible, de l’expérience, du corps, de la poésie, etc. Ce qui n’empêche pas que cela soit construit et élaboré. D’autre part, les enseignant·e·s qui ont davantage un regard pédagogique vont apprendre à décoder progressivement ce qui se travaille dans l’atelier de pratique artistique et faire des liens avec les apprentissages, les matières scolaires, c’est-à-dire ce qui se joue pour leurs élèves à cet endroit-là de l’atelier. Et donc, il est important que les artistes soient sensibilisé·e·s à ça, notamment dans la discussion avec les enseignant·e·s. Un travail dans l’espace par la danse avec un·e chorégraphe peut trouver son prolongement dans un cours de géométrie, par exemple. Chaque enseignant·e va faire ses liens, et trouver sa propre manière de développer l’art et la culture à l’école.

Les enseignant·e·s partent d’une matière existante qu’ils/elles s’approprient en personnalisant la transmission, alors que les artistes viennent transmettre leur propre pratique. La complémentarité entre ces différents acteurs provient-elle du fait qu’ils ne partent pas du même point à ce niveau-là ?

- Oui, exactement. La singularité de chaque artiste est déterminante dans son intervention. D’autre part, on ne propose pas un cours de danse ou de théâtre aux enfants. Il n’y a pas à apprendre un texte ou un pas de danse. Le but est davantage de les amener à développer leur langage, leur manière de bouger, de prendre la parole, etc. Il n’est donc pas question de formater ni de modéliser les choses pour les élèves mais de les amener à être créatifs et singuliers à leur tour dans l’expression.

Si on résume les trois axes du Parcours d’Éducation Culturelle et Artistique (PECA) qui sont : « parfaire des connaissances culturelles et artistiques, rencontrer des artistes et des œuvres et pratiquer l’art à travers des projets collaboratifs », Pierre de Lune apparaît comme précurseur de cette philosophie. Avez-vous été consultés pour l’élaboration du PECA ?

- Je pense que le PECA émane de tout un historique, celui de différents opérateurs culturels dont Pierre de Lune, La montagne magique, éKLA, les Jeunesses Musicales, La Roseraie, PointCulture, etc. Tous les gens qui font depuis longtemps de la médiation au sein des écoles, ont inspiré le PECA à travers leurs projets et leurs rapports d’activités. Mais la démarche du PECA est à cheval sur l’enseignement et la culture. L’enseignement a créé le référentiel des compétences, à savoir un catalogue des compétences que les élèves doivent acquérir autour des matières culturelles et artistiques, mais la formulation de ce référentiel a tardé à être soumise aux opérateurs culturels. Ce référentiel nous apparaissait comme un outil très analytique, qui intellectualise fort la démarche artistique en la rendant très didactique, avec le risque de lui faire perdre sa substance et sa sensibilité en tant que matière vivante, distincte des catégories en usage dans les matières scolaires. Notre préoccupation a été de maintenir une vigilance à cet égard : même si, par le PECA, les liens entre pratiques artistiques et enseignement s’institutionnalisent, il est important de protéger ce qui leur est propre respectivement. D’autre part, il y a le PECA et l’ECA. L’ECA, c’est le cours d’Éducation Culturelle et Artistique, à raison de quatre heures au programme de l’enseignement maternel (et 2h en primaire). Il sera donné par l’enseignant·e et va davantage concerner l’aspect des savoirs et des connaissances autour de l’art et de la culture. Dans le PECA, le « P » qui s’ajoute amène l’idée d’un parcours. C’est là que les opérateurs culturels espèrent intervenir pour sortir les élèves de l’école, les faire circuler, aller à la rencontre des œuvres, aller au théâtre ou au concert, inviter des artistes en classe pour faire des ateliers et des projets, etc. Je précise quand même, qu’en termes de consultation, certains artistes ont travaillé sur des outils créés à l’usage du PECA.

« C’est une rencontre entre des personnes, enseignant·e·s et artistes…. et aussi une rencontre entre des domaines de savoir. — »

Est-ce que le but n’est pas aussi de démocratiser l’accès à la culture indépendamment du type d’école ou des divergences d’intérêts que cela suscite au sein du corps enseignant ?

- C’est l’idée qui est derrière la demande du ministère, à savoir une revalorisation des matières « art et culture », parce qu’elles existent en réalité ! Elles sont déjà dans les socles de compétences, dans les programmes de l’enseignement, mais sont parfois cantonnées à un rôle récréatif, occasionnel ou au contraire pleinement intégrées à la vie scolaire. Donc, le rôle de l’ECA et du PECA est de rendre ça beaucoup plus lisible et obligatoire pour les enseignant·e·s et, idéalement, qu’ils/elles soient formé·e·s à ça.

À ce propos, Pierre de Lune fait partie du consortium bruxellois du PECA ?

- Oui, Christian Machiels, notre directeur, est une cheville ouvrière de la construction de ce consortium avec les autres opérateurs culturels. Il a participé à toute l’élaboration de la structure institutionnelle du consortium. J’y assure le relais sur les contenus.

Pour en revenir à la formation que vous donnez aux artistes, quelle en est la philosophie ? Quel genre de conseils êtes-vous amenés à leur donner ?

- Ce n’est pas tellement de ce point de vue qu’on se positionne. En réalité, beaucoup d’artistes font appel à nous pour intervenir dans les écoles et faire des projets avec les élèves. On commence par les rencontrer. Il est important qu’il y ait chez elles/eux un désir de transmettre, de travailler avec des enfants ou des adolescents – nous devons identifier la tranche d’âge avec laquelle chaque artiste aura des affinités. Ensuite, sachant qu’elles/ils vont travailler à partir de leur pratique personnelle, ce à quoi on les invite, c’est à créer une méthodologie : commencer par de petites choses puis avancer par couches en complexifiant progressivement en fonction de ce qui se passe dans le groupe d’enfants suite à une consigne, par exemple. Les artistes doivent être attentif·ve·s à ce qui vient du groupe tout en préservant leur fil personnel. Elles/Ils sont les capitaines du navire mais doivent rester à l’écoute, c’est un aller-retour. De plus, il est vraiment important qu’elles/ils travaillent en partenariat avec les enseignant·e·s. Ces dernier·ère·s sont des personnes-clés dans les projets, elles/ils participent ! Les projets doivent être portés par les deux parties avec beaucoup de concertation : sur ce qu’on va faire, comment ça s’est passé, comment on va rebondir la prochaine fois, comment le groupe a été géré, etc.

Ce n’est pas seulement une rencontre entre des personnes – enseignant·e·s et artistes – mais aussi entre des domaines de savoir ?

- Oui, tout à fait !

Combien de temps dure l’intervention d’un·e artiste dans une école ?

- La plupart de nos projets se développent sur une année scolaire à raison de quinze séances de deux heures toutes les deux semaines.

Dans quels cours ces interventions prennent-elles place en général ?

- Dans le maternel et le primaire, ce sont les instituteur·rice·s, et dans le secondaire, ce sont souvent les profs de français. L’idée de l’ECA et du PECA est aussi d’amener de la transversalité entre les matières. Donc, dans le secondaire, les enseignant·e·s seront censé·e·s travailler ensemble entre les différentes matières – français, maths, géographie, etc. – et le projet artistique devra aussi traverser toutes ces matières.

Avez-vous un outil d’évaluation du travail effectué par les artistes en milieu scolaire ?

- Nous travaillons chaque année avec vingt à vingt-cinq classes. Au terme de l’année, nous organisons des journées par groupe de cinq classes qui présentent à tour de rôle une restitution des projets sur lesquels elles ont travaillé, en guise de finalisation du processus. On ne montre pas les présentations aux parents ! C’est une chose qu’on a faite mais à laquelle on a renoncé pour éviter l’influence que leur présence pouvait avoir sur les enfants en représentation – la sensibilité et la poésie cédaient parfois du terrain à une attitude plus démonstrative. La forme de la restitution est variable : une petite séquence de cinq ou dix minutes qu’ils/elles ont construite, un atelier sur scène, un atelier ouvert, une exposition, une vidéo. C’est toujours un aboutissement au terme de ce parcours d’une année. Certains projets vont mener à la scène, d’autres à l’image, etc. Pour le reste, on fait aussi un rapport d’évaluation classique. On discute avec les enseignant·e·s, avec les élèves, on écoute leurs paroles et on fait un rapport écrit. Mais ce n’est pas quelque chose de quantifiable. C’est qualitatif !

Lorsque vous précisez que vous travaillez avec vingt-cinq classes sur une année, cela correspond-il à vingt-cinq écoles différentes ?

- Oui ! Parfois, on a deux classes dans une même école, mais c’est rare.

Et au niveau « arts de la scène », vous essayez de respecter des quotas entre danse et théâtre par exemple ?

- On essaye d’avoir moitié danse et moitié théâtre. À l’intérieur de ça, il y a des formes un peu hybrides, comme la création radiophonique ou « l’écriture et la mise en jeu » par exemple.

Les artistes peuvent proposer des interventions plusieurs années consécutives, ou changez-vous chaque année ?

- On a un noyau d’artistes qui travaillent avec nous depuis longtemps et des nouvelles venues régulières aussi, en fonction des aléas de leur carrière. Il y a du mouvement, mais il y a une base d’artistes qui se forment finalement, à force de travailler dans ces contextes.


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Questions : Hugues Warin.

Crédit photo : Pierre de Lune

Image en bannière : marionnette de glace et matières animées du spectacle Anywhere (Théâtre de L’entrouvert, 2016) - ©Vincent Baume

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