Aux Tanneurs, Philipot ouvre la saison.
Plateau nu et choix essentiels
Un grand parquet de bois s’allonge, seul, sur toute la longueur de la salle. De lourds rideaux s’élèvent à chaque extrémité. Quatre lustres art déco surplombent l’ensemble pendant que le public arpente les gradins qui s’étirent dans l’ombre côté cour comme côté jardin. Un dispositif différent. Une nudité de plateau presque complète. Sans attendre les acteurs, le minimalisme a déjà pris place. C’est dans ce cadre, où l’imagination et la suggestion seront piliers de construction, que le collectif défini ses contraintes. Le spectacle commence par une scène muette. Une mise en situation qui, a l’instar de cinéastes tel que Wes Anderson, prend tout son temps. Significatif. On comprend que chaque geste est millimétré, synonyme d’intention.
S’ensuit une mécanique de jeu particulière. Entre moments suspendus, regards vides d’incompréhension et dialogues qui mélangent la vacuité du quotidien aux verbes d’actions et aux intentions coupables, l’écriture épurée passe sans cesse du coq à l’âne. Elle est d’emblée singulière, absolument absurde, parfaitement ludique.
La tragédie de l’ordinaire
A quelques jours des élections, alors que les employés communaux s’affairent aux préparatifs des urnes, la bourgmestre Daphnée Philipot apprend que son parti a supprimé son nom de la liste électorale. Elle, dépitée, ne l’entend pas de cette oreille et compte utiliser le temps qui lui reste pour créer, avec son équipe de bras cassés, un nouveau parti. La mince affaire !
Derrière une diatribe loufoque et parfaitement nouée, ce qui intéresse la Cie Fany Ducat, ce ne sont pas les rouages politiques mais les canevas communicationnels et les liens sous-jacents qui dépassent profusément le cadre du travail. Toute la narration se ficelle autour des affects des personnages créant une pelote indivisible, pardonnant souvent l’incompétence des uns, les carcans intellectuels ou obsessionnels des autres. En jouant intelligemment avec ce quotidien qui parasite en permanence l’avancée du travail, les intentions intimes se dévoilent : arrivismes, sacrifices de soi, désirs de bien faire, désirs amoureux et lapsus révélateurs… Tous différents et pourtant tous convaincus, chacun et chacune se démènent pour sauver ce "Titanic électoral" dans le plus grand désordre, accumulant les situations improbables. Plus le paquebot prend l’eau, plus on jubile.
Ouvrir la saison en programmant une jeune compagnie telle que Fany Ducat démontre, une fois encore, que le Théâtre des Tanneurs ne marche pas sur des sentiers balisés. Avec Philipot, troisième opus d’une quadrilogie (après « Les Falaises » et « Luc, Corinne, Alain et Stéphane »), le collectif confirme son talent d’écriture contemporaine. La plume aiguisée, empreinte d’absurdités révélatrices, enchevêtre intelligemment les registres et désarçonne perpétuellement par son originalité et son humour vitriolé. La valeur n’est plus à suivre, elle est cotée parmi les spectacles qu’il faut voir absolument. On attend impatiemment la suite.
Jean-Jacques Goffinon.
Théâtre les tanneurs : https://www.lestanneurs.be/
Crédit photo : Fany Ducat