Beatrix Potter : dessiner le vivant
Sommaire
Nature et culture
Issue d'une famille de la bourgeoisie, Beatrix Potter voit le jour en 1866. Avec son jeune frère Bertram, elle est très tôt sensibilisée à l'art. Le père, avocat de formation, est également photographe amateur. C'est tout naturellement qu'il soutient et encourage sa fille à développer ses qualités artistiques.
En famille, ils visitent musées et galeries, où la jeune fille se passionne pour les peintres préraphaélites. De Ophélia, peint par John Everett Millais, ami de la famille, elle dira qu'il s'agit selon elle de l'une des plus merveilleuses peintures au monde. À l'âge de 12 ans, elle suit des cours de dessin dans une école renommée à Londres. Elle obtient son seul et unique diplôme. Le reste de ses connaissances artistiques et scientifiques, elle l'apprend en autodidacte.
L'été est sa période préférée. Chaque année, la famille passe trois mois en Écosse, puis plus tard dans la Région des Lacs en Angleterre. Rien ne plaît davantage à Beatrix que ce décor verdoyant, ces vastes contrées vertes. C'est une véritable passion qu'elle voue à la nature, qu'elle examine sous toutes ses coutures. Elle aime observer longuement ce qui l'entoure : fleurs, plantes, champignons, grenouilles... Avec son jeune frère, ils explorent la campagne et collectionnent fossiles ou insectes. Que ce soit issu du règne animal ou végétal, tout est source d'inspiration pour la jeune fille assoiffée de connaissances. Ces moments riches en découvertes nourriront son imagination et sa créativité. De retour à Londres, elle retourne à sa solitude. Dès qu'il a l'âge requis, son frère Bertram est envoyé dans un pensionnat privé, comme il est d'usage à l'époque. La jeune fille trompe l'ennui en inventant des histoires où, dans des décors miniatures, elle met en scène ses animaux de compagnie : souris, lapin, hérisson... Des heures durant, elle dessine de manière très réaliste les plantes et autres trésors ramenés de ses vacances.
Fort heureusement, mon éducation fut négligée ; on ne m'a jamais envoyée à l'école... Je suis contente de ne pas avoir été à l'école, car elle m'aurait ôté une grande partie de mon originalité (si je n'étais pas morte de timidité ou d'étouffement). — Beatrix Potter
Le monde fascinant des champignons
Avant d'écrire des livres pour enfants, Beatrix Potter s'intéresse de près aux champignons et les étudie durant plusieurs années. Elle récolte de nombreux spécimens qu'elle observe, peint, dissèque et tente même la germination des spores. Elle est la première femme en Angleterre à réussir cet exploit, alors que toutes ses expériences sont réalisées dans sa cuisine. Elle aurait aimé poursuivre l'étude de la mycologie à l'université mais l'accès y est réservé uniquement aux hommes. Cependant, pourquoi ne pas illustrer un ouvrage sur le sujet ? Lorsque son oncle, le chimiste Sir Henry Enfield Roscoe présente ses aquarelles aux représentants des jardins botaniques royaux de Kew, on ne lui accorde que peu d'intérêt.
Par ailleurs, elle écrit un article intitulé « On the Germination of the Spores of the Agaricinea » (De la germination des spores de l’agaricinée), et une conférence est organisée à la Société linnéenne de Londres, consacrée à la biologie. Une fois encore, un sentiment de déception l’envahit : les femmes ne sont pas autorisées à assister aux conférences. Un ami botaniste lira l'article pour elle.
Beatrix lègue 450 dessins à l'Armitt Museum and Gallery d'Ambleside, et aujourd'hui ses illustrations scientifiques sont encore étudiées.
En 1967, ses dessins inspirent le Dr. W.P.K. Findlay, ancien président de la Société mycologique britannique, pour un livre sur les champignons de Grande-Bretagne.
Enfin, le livre Les Champignons est édité en 1999 et comprend ses magnifiques aquarelles.
De toutes les choses impossibles à dessiner, je crois bien que la pire est un bon gros champignon. — Beatrix Potter
De la botanique à l'univers du conte
Confrontée au mépris dû à sa condition féminine, Beatrix Potter sera certes déçue et frustrée mais elle parviendra à surmonter ses déconvenues. Elle aurait pu en rester là, lasse de devoir se battre et se cantonner au rôle que lui imposait la société victorienne : une respectable maîtresse de maison. Elle avait d'autres aspirations.
Depuis quelque temps, elle prend plaisir à dessiner des animaux aux allures fantaisistes, qui plaisent beaucoup aux enfants. C'est également à cette époque qu'elle illustre de petites cartes de vœux pour la société étrangère « Hildesheimer & Faulkner » et qu'elle perçoit un salaire à chaque commande.
En 1893, elle écrit dans le but de remonter le moral du fils d'une de ses anciennes préceptrices, tombé malade. Il s’agit d’une courte histoire illustrée de quatre petites lapins : Flopsaut, Trotsaut, Queue-de-Coton et Pierre.
Avec le temps, son talent de conteuse combiné à ses dessins séduisent un public de plus en plus demandeur. Ces marques d'intérêts l'encouragent à tenter sa chance en tant qu'auteure de livres.
Elle retravaille la première version de Pierre Lapin racontée à Noël et le manuscrit est envoyé à plusieurs maisons d'édition. Personne n'est intéressé. Elle décide alors de publier à ses frais et commande un premier tirage de 250 exemplaires. Selon son souhait, le livre sera de petite taille, environ quinze centimètres sur douze, adapté aux petites mains. En décembre 1901, les livres sont déposés dans les librairies locales. Les albums se vendent comme des petits pains. Forte de ce succès, 200 exemplaires sont recommandés en février 1902.
Entre en scène la maison d'édition Frederick Warne & Co., qui, cette fois, accepte de publier cet « étrange petit livre », à condition de remplacer le noir et blanc par de la couleur. Beatrix Potter suit ce judicieux conseil.
En octobre 1902 sort The Tale of Peter Rabbit / Le Conte de Pierre Lapin.
Le succès est immédiat et les chiffres de vente ne cessent de grimper. Le prix, fixé par l'auteure, n'est pas très élevé. Elle espère ainsi toucher tous les enfants, même les plus démunis.
Ensuite, ce sont deux histoires par an, dont le succès grandissant dépasse la frontière anglaise. Grâce aux échanges et suggestions avec la maison d'édition, Beatrix gagne en confiance et aspire à donner le meilleur d'elle-même. Au fil des années, leur rapport dépasse le cadre professionnel et elle noue avec la famille Warne une amitié qui durera toute sa vie.
Formes de vie
C'est dans la Région des Lacs qu'elle trouve l'inspiration, et plus particulièrement la ville de Swarey, où elle achète sa première ferme : Hill Top. Les fermes, lacs, jardins servent de décors et les habitants, fiers, reconnaissent les lieux. Quant aux animaux, ce sont bien évidemment ses propres compagnons à quatre pattes qui lui servent de modèle, du lapin au canard en passant par le hérisson. Et bien souvent, elle emprunte les traits de personnes de son entourage. L'Écossaise Kitty MacDonald, vieille dame et blanchisseuse de son état, sert de modèle pour Madame Piquedru la Blanchisseuse.
Au total, Beatrix Potter écrit vingt-trois contes drôles et tendres, où les lapins désobéissants et écureuils moqueurs ont remplacé les traditionnelles petites filles modèles. Les animaux, du canard à la grenouille, sont fidèlement représentés, ce qui contraste avec les vêtements dont ils sont élégamment vêtus. Ils se tiennent sur leurs pattes arrières, de manière distinguée mais, à la moindre occasion, le naturel revient au galop. Ce mélange de réalité et d'imaginaire est un des éléments forts de l'univers de Beatrix Potter. Aussi, bien que son œuvre soit destinée aux tout-petits, elle attache un soin particulier aux mots choisis. Ils doivent être précis et justes. Elle n'essaie pas non plus de cacher certaines réalités, parfois dramatiques, liées au règne animal : suite à un « accident », un lapin peut très bien terminer en pâté ! Les fins d'histoires sont souvent heureuses et la narratrice s'adresse directement aux enfants.
The Tale of Kitty-in-Boots est une histoire inachevée, retrouvée dans les archives du Victoria and Albert Museum en 2015. Commencée en 1914, Beatrix Potter n’a pu finaliser son projet, avec l’arrivée de la Première Guerre mondiale. C’est à Quentin Blake, l’illustrateur de presque tous les livres de Roald Dahl, que revient la tâche d’illustrer ce conte inédit.
En 1913, elle se marie avec William Heelis et ils s'installent dans leur nouvelle maison, Castel Cottage. À partir de ce moment, sa vie change radicalement et, sur une période de trente ans, elle se consacre exclusivement aux travaux de la ferme. Elle élève des moutons Herdwick et permet la préservation de la race. Afin d'éviter l'expansion de l'urbanisation, elle décide d'acquérir, chaque fois que cela est possible, des terres et des fermes. Au total, c'est plus de mille six cents hectares de terre et quinze fermes ! Elle décide de tout léguer au National Trust, une organisation de protection des sites historiques naturels. Dans la Région des Lacs, la campagne est préservée comme si le temps y était suspendu. C'est grâce à cette femme remarquable.
Bibliographie et médiagraphie
En français, les ouvrages de Beatrix Potter sont publiés chez Gallimard jeunesse.
Le téléfilm Roald and Beatrix: The Tail of the Curious Mouse (2020), raconte l'histoire de la rencontre entre Beatrix Potter et Roald Dahl, l'auteur de Matilda, Charlie et la chocolaterie, Sacrées Sorcières. La rencontre a réellement eu lieu dans les années 1920, Roald Dahl est alors un petit garçon.
Leurs univers respectifs ont inspiré de nombreuses adaptations.
Il existe aussi un biopic qui retrace la vie de l'autrice : Miss Potter, Chris Noonan (2006)
Texte : Magda Ettalibi