"Beyond Borders", la Fondation Boghossian au-delà des frontières
Sommaire
Un écrin Art déco signé Michel Polak
Un bâtiment un brin austère depuis la route, mais une villa étagée avec piscine, pergola et jardin qui consacre ce que l’Art déco peut avoir de plus majestueux (ordre, couleurs et géométrie, selon le dico) où les marbres, bois d’essences rares (noyer, chêne, etc. ), mosaïques et vitraux rivalisent d’élégance, dans une sorte de sobriété des formes et espaces qui invite au calme et à l’introspection. Malgré l’aménagement d’un espace dédié à la restauration et un autre à l’accueil des visiteurs, la Villa Empain a retrouvé à peu près l’aspect qu’elle avait lorsque le baron y séjournait dans les années 1930, et chaque pièce, a conservé par son nom une trace de la fonction qu’elle avait à l’origine.
Malheureusement, de cette généreuse luminosité qui doit inonder le lieu depuis un grand puits de lumière qui surplombe le grand hall, nous n’aurons que peu gouté, tant le ciel semble toucher terre sur toutes les nuances de gris sombre en cette matinée pluvieuse de fin d’automne !
Une exposition entre Orient et Occident, en écho à la mission du lieu
La problématique des frontières est au cœur de la mission de la Fondation Boghossian, qui a pour vocation de rapprocher les peuples par le biais de la culture. À ce titre, il nous a semblé intéressant d’explorer cette thématique dans le cadre de "Beyond Borders" et de faire dialoguer ainsi la sélection d’œuvres d’artistes européens… avec des œuvres d’artistes originaires du Moyen-Orient et du Maghreb. — Fondation Boghossian
Toute l’exposition Beyond Borders (littéralement, Au-delà des
frontières) s’articule autour d’un dialogue entre les œuvres de 37 artistes
contemporains, de la notion de frontières et de ses multiples et parfois
étranges représentations. Les œuvres sont présentées comme les étapes d’un cheminement
propre à chaque visiteur, même si un petit catalogue en
propose un parcours balisé. Les travaux exposés respectent également ce
dénuement formel synonyme ici de « retour à l’essentiel », avec la
recherche constante du meilleur rapport entre chaque œuvre et l’espace où elle a
été placée, posée ou accrochée. Le regard est aimanté et libre, jamais fatigué ni
distrait par le sentiment de profusion ou de surcharge de tant d’expositions.
Mais Beyond Borders se veut porteur d’une réflexion sur ces « frontières », au centre de tant d’enjeux idéologiques, symboliques et politiques d’aujourd’hui ! Ici, au travers d’une vidéo (Discussion Between Gentlemen de Bady Dalloul, 2016) des mains se relaient ou s’entraident pour gommer/colorier/redessiner/redécouper les frontières d’un pays – la Syrie – déchiré par la guerre. Une œuvre qui est un écho direct aux accords centenaires Sykes-Picot (signés en mai 1916) qui ont tracé les frontières du Moyen-Orient de façon totalement arbitraire !
Frontières et conflits demeurent étroitement intriqués dans cette expo comme le montrent les clichés (Stateless, 2014-2015) de l’Iranienne Gohar Dashti et ses déracinés nomades de la guerre (et du climat ?). Dans la même pièce, la Déclaration universelle des droits de l’homme de Taysir Batniji (L'Homme ne vit pas seulement de pain, 2012-2013) en matériau friable questionne la force et le caractère immuable (?) des textes de loi.
Accrochée à un grand mur latéral de la salle à manger, la sculpture Untitled (1996) de Jannis Kounellis interroge de sa massivité frontale et de ses matériaux frustes (plaques d’acier, barre métallique et feutre) la stricte condition de l’enferment. Une idée de confinement et d’isolement renforcée par l’Untitled (1996) de Jaume Plensa, un grand dessin sur papier qui ressemble autant à une sinistre boîte qu’à un oppressant monolithe noir ! Toujours dur le thème des délimitations imposées la peinture grand format en damiers noir et blanc de White White (1997) de Sean Scully.
Placée presque « en embuscade » (dans la coursive), Delocazione (1971) de Claudio Parmiggiani est – de par son jeu infini d’ombres et de traces et d’empreintes – une étonnante métaphore du déracinement et de la réinstallation.
Dans une pièce plus petite (la chambre au Nord), le cliché panoramique d’un ilot fluvial inhabité
(Loire et Cher, France par Elger Esser, 2000) est confronté à la toile peinte, mais recouverte de fils de laine
de Lara Favaretto (5743 C, 2011).
Paysage photo toujours avec le Icy Prospects #28 (2006) de Jorma Puranen, mais travaillé via le prisme du reflet. Et magnifiquement placée en contraste dans la même pièce (la chambre d’enfants) avec la forme (une partie de cercle ?) bleue aux reflets intenses et troubles (Untitled, 1998) d’Anish Kapoor.
Chez Frank Thiel, les reliefs décatis d’anciens bâtiments industriels se muent sous son œil de photographe en une immense fresque abstraite un poil flippante (Stadt 12/53, 2006) !
Plus loin (dans la
"salle de bain de madame"), un néon sur fond noir (signé Pravdoliub Ivanov), une œuvre
intitulée Border By Memory (2006) reproduit
le tracé du Danube qui délimitent la frontière entre la Roumanie et la Bulgarie.
Une barrière liquide franchie malgré tout quotidiennement par les réfugiés.
Enfin, pour terminer, trois œuvres « en mouvement ». Les phrases fuyantes et énigmatiques sur support numérique de Héla Ammar (Why Do You Ask ?, 2017). Et dans la pénombre, les vidéos de Wael Shawsky (Manquia 1, 2014) et ses troupeaux de chameaux du soir au matin, et celles plus angoissantes d’Hrair Sarkissian (Horizon, 2016, et ses étendues d’eaux méditerranéennes mortelles, que les migrants franchissent dans leur quête d’une vie meilleure !
Yannick Hustache
image du bandeau : visuel de l'exposition (Slim Pickings de Claire Morgan)
exposition collective Beyond Borders
Jusqu'au Dimanche 24 février 2019
Fondation Boghossian
Villa Empain
67, Avenue Franklin Rossevelt
1050 Bruxelles
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 11h à 18h
+32 2 627 52 3