Borders : tendre la main pour survivre
Dans un rythme trépidant, le spectateur plonge dans les événements du 11 septembre, dans le conflit syrien et dans l’actualité révoltante de la détresse des migrants en Méditerranée. Un texte fort porté par une mise en scène accrocheuse.
Monologue à deux voix, ce récit est porté à bout de bras par Amel Benaïssa et Manoël Dupont, deux jeunes comédiens qui se cèdent tour à tour la parole, avec force et conviction. Avec humour aussi malgré la gravité du propos. Sans répit, nous sommes captés, subjugués, entraînés dans un véritable tourbillon de vie et d’émotions. Une vraie belle alchimie.
D’abord, il y a Sébastien, jeune reporter idéaliste, qui rêve de photographier le monde. Au Balouchistan, il se retrouve au bon endroit au bon moment. Il rencontre Messenger, un baroudeur, journaliste de guerre de renom, qui l’entraîne dans son sillage pour une interview d’un seigneur de guerre local. Son nom : Oussama Ben Laden. En un cliché, la carrière de Sébastien est lancée avant qu’il ne se perde dans l’univers du show bizz et de ses innombrables vanités. Il est célèbre mais a-t-il réalisé ses rêves ? La question se pose jusqu’à ce que son vieil ami Messenger l’entraîne en Méditerranée tirer le portrait d'Angelina Jolie sur un bateau qui part à la rescousse des migrants en péril.
Face à lui, il y a Sans nom, jeune artiste graffeuse syrienne, orpheline de père, révoltée, courageuse. Elle se bat, elle dessine, et hurle sa haine pour le régime d’Assad qui a brisé sa famille. Elle tombe amoureuse, presque malgré elle. Elle s’engage dans une lutte là où les femmes ne comptent pas, ou si peu, pour écrire l’Histoire. Elle découvre les geôles du régime, en sort avec de la chance. Et la vie continue dans la résistance jusqu’à ce que sa mère la pousse à franchir les frontières, pour exister et résister. Jusqu’aux tréfonds des cales d’un bateau dont on découvre l’horreur.
Ne me demandez pas mon nom. Seuls les puissants ont des noms. Appelez-moi Sans nom. Appelez-moi Sans père. Appelez-moi ce que vous voulez. Mais pas par mon nom. Il est à moi, c’est tout ce qui me reste. — Henry Naylor
Les pièces d’Henry Naylor ont reçu de nombreux prix et récompenses, notamment au Fringe festival d’Édimbourg. Salué par la critique internationale, Borders s’est joué à guichets fermés dans le monde anglo-saxon, à Londres, à New York, à Adélaïde. Ce texte magnifique est le troisième volet d’un triptyque que consacre l’auteur au Moyen-Orient. Ici, Jasmina Douieb le met en scène avec beaucoup de justesse. Et le public suit, conquis.
Retraçant les origines du conflit syrien depuis 2011, d’une part, et l’évolution d’un photojournaliste depuis les événements du 11 septembre, d’autre part, ce récit remonte aux sources des tensions mondiales qui conduisent toujours plus de migrants aux portes de l’Europe. Invitation à se glisser dans la peau du témoin d’une joute invisible et de l’impossible rencontre de deux mondes, le spectacle met en scène deux personnages qui se répondent en miroir sans jamais se voir, ni se croiser. — Jasmina Douieb
On perçoit au fil de ces récits de vie que si les frontières sont physiques, elles sont tout autant psychologiques, les personnages semblent aussi enfermés mentalement. Sauront-ils se délivrer du poids de leur histoire ? À vous d'en juger.
Emmanuelle Dejaiffe
photo de bannière : (c) Gael Maleux
Création - De Henry Naylor. Traduction : Adelaïde Pralon.
Mise en scène : Jasmina Douieb. Avec : Amel Benaïssa et Manoël Dupont.
Théâtre Le Public
64-70 rue Braemt
1210 Bruxelles (Saint-Josse)
Jusqu'au samedi 19 octobre 2019
Représentations :
Du mardi au vendredi à 20h30 et les samedis à 19h.
Le dimanche 06/10 à 17h