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Bruxelles-Brussel, une traversée urbaine

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Projection documentaire, documentaire, Bruxelles, Ville

publié le par Marc Roesems

Du 1er au 5 mai 2019, la Fête de l'Iris / Irisfeest bat son plein à l'occasion des 30 ans de la Région bruxelloise. C'est dans ce cadre prestigieux que la première du film "Bruxelles-Brussel, une traversée urbaine" aura lieu, dans la salle Henry Le Boeuf de Bozar.

Cela commence à l’aube, sur une ville qui se réveille. Quelques vestiges de la vie nocturne jonchent les trottoirs, les marchés commencent à s’animer, calmement, des voitures filent à toute allure vers le centre de la capitale, sur « l’autoroute » à quatre bandes de la rue de la Loi… Puis en viennent d’autres qui, cette fois, sont filmées à hauteur d’enfant à des carrefours de grande affluence, venant barrer notre vue et interférer avec le commentaire de Philippe Van Parijs (philosophe et économiste), qui fuse dans ce brouhaha : « si nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir habiter dans les centres-villes, comme nous devrons le faire pour des raisons écologiques, ça va devenir très cher. Par conséquent, les espaces privés dans les villes deviendront de plus en plus petits. Et pour les personnes, la qualité de l’espace public sera vraiment essentielle. »

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Dès les premières images et commentaires, le film expose ses ambitions : comment traiter de l’espace public à Bruxelles ? On peut l'envisager comme un bien commun qui appartient à tous, qui doit être ouvert, accessible et agréable pour tous. Cependant, on voit qu’il y a actuellement – période de transition oblige – des conflits sur la définition de l’espace public, et des débats sur l'occupation de cet espace (hommes et femmes, par exemple, ne l’occupent pas de manière identique). C’est aussi le lieu du conflit d’usage, entre les habitants, les usagers, les forces économiques…, chacun ayant ses exigences. La ville de demain est un des lieux où le tissu social, la démocratie et le principe de citoyenneté doivent être protégés. Questionner ces enjeux, pour le réalisateur, c’est montrer à quel prix Bruxelles se métamorphose et comment aujourd’hui les citoyens parviennent à se réapproprier leurs espaces urbains.

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Puis viennent immanquablement les images de chantiers et les bruits de pelleteuses, comme le montrent la majorité – pour ne pas dire la quasi-totalité – des films documentaires qui se sont intéressés à cette ville faite de bric et de broc, pointant par là son côté mal foutu. Le bon sens n’a pas toujours sa place à Bruxelles. Et le premier guide de cette traversée urbaine, l’historien Roel Jacobs, nous le rappelle d’un air goguenard. Anecdotes et grande histoire se mêlent avec humour mais de manière savante pour raconter cette ville « tordue » : le voûtement de la Senne pour des questions d’hygiène et de « salubrité sociale », la jonction Nord-Sud qui a définitivement défiguré la ville ancienne et la toponymie des rues médiévales, orientée est-ouest pour relier Bruges à Cologne, exprimant la vocation commerciale de Bruxelles, etc.

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Roel Jacobs, historien : "Ça c’est Bruxelles… d’abord, c’est un chantier, et puis, autour de nous, tout est tordu !"

Ces origines et mutations historiques de la ville sont commentées ou complétées par d’autres intervenants (Isabelle Pauthier, directrice de l’ARAU, Guido Vanderhulst, spécialiste du patrimoine industriel, social et portuaire à Bruxelles Fabriques) qui évoquent les fonctions sociales de certains aménagements urbains (parcs, galeries couvertes, allées vertes, qui apparaissent durant le 19e siècle) et l’évolution des voiries jusqu’à la suprématie de la voiture sur l’ensemble de l’espace public urbain. Le vingtième siècle va voir disparaître les espaces de promenades et ce n’est que récemment qu’on réintroduit progressivement cette pratique « essentielle » parce qu’elle témoigne d’un nouveau rapport à la ville, de nouveaux rapports entre les habitants…, un des grands enjeux de nos villes contemporaines, comme le souligne Christophe Loir, professeur d’histoire à l’Université libre de Bruxelles.

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Bruxelles au 19e siècle, avant le voûtement de la rivière la Senne.

Cette traversée urbaine de Bruxelles est au cœur de ce basculement, de ce changement de paradigme – le reflux de la place de la voiture, encore bien trop présente – et de cette reconquête des espaces publics par les citoyens avec, entre autres, comme l’écrit Luc Jabon, « la piétonisation de certains boulevards, la reconfiguration de quelques places, la réaffectation des abords du Canal et même la naissance de nouvelles rues. »

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La Grand-Place encombrée de voitures... devenues les dominatrices de l'espace public durant la seconde moitié du vingtième siècle.

Ensuite, tout naturellement, le film passe de l’historique au présent, du lourd héritage des voiries anciennes aux préoccupations actuelles liées à la mobilité et au « mieux vivre ensemble ». Il est à souligner que le montage particulièrement fluide du film permet de se laisser emporter par le « récit » qu’en font la trentaine d’intervenants, à la manière d’un film choral – ici, les personnages sont liés par un même destin bruxellois.

Cette traversée choisie de rues et de quartiers selon la propre quête du cinéaste est pleinement assumée car, comment « réduire » Bruxelles en un peu moins d’une heure trente ? Peu importe, le propos n’est pas d’être exhaustif ; ce qui compte, ici, c’est que les rues choisies deviennent les « héroïnes » du film à travers la voix et le témoignage de celles et ceux qui y vivent, y travaillent, y passent du temps, s’y investissent et les font vivre ; quelques quartiers du centre-ville (la place du Jeu de Balle dans les Marolles, la Bourse et son piétonnier, les Halles Saint-Géry, etc.) et quelques-uns se situant en bordure de Bruxelles-Ville (le Parvis de Saint-Gilles, Molenbeek et son canal, Tour & Taxis, la Porte de Namur, les quartiers européens du Berlaymont et de la place du Luxembourg, etc.).

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Place du Jeu de Balle, dans les Marolles.

Pour aborder de nombreuses questions liées au bien-être et à la qualité des espaces publics, le film a adopté un ton optimiste : ciel bleu ou très légèrement couvert (une seule séquence, montrant une manifestation, est filmée sous la pluie !), propositions positives en matière de mobilité et intentions louables pour une meilleure qualité de l’air, mise en place de zones piétonnes et réappropriation de ces espaces par les Bruxellois, participation citoyenne en vue d’aménager un quartier du centre pour le rendre plus attractif, et le politique à l’écoute…

Malgré quelques réserves [1], le film ouvre une multitude de perspectives en montrant, à travers les propos des intervenants, la manière avec laquelle le partage démocratique de l’espace public est sans cesse à ré-instituer, et demeure ô combien fragile.

Marc Roesems

Projection en avant-première à Bozar, le jeudi 2 mai, à 20 heures.

L'agenda du film est repris sur la page de la production, Image Création.com


[1] Ces réserves sont notamment liées à certaines séquences ou témoignages « officiels » qui, soit par excès de prudence soit par négligence, ne désignent pas des problèmes pourtant clairement identifiés. Pour exemple, celui de Bianca Debaets, secrétaire d’État à la transition numérique, à propos de la qualité de l’air, pose un problème : le gouvernement a décidé de créer une zone de basse émission (LEZ). « C’est d’ailleurs la plus grande en Europe », nous dit-elle. Des caméras intelligentes « partout sur le territoire » capables d’identifier les plaques d’immatriculation pourront détecter quelles voitures seront admises ou non à Bruxelles… Ce qui est ironique, c’est que son témoignage est recueilli rue de la Loi, où, à quelques centaines de mètres plus loin, sur la même rue, aucun appareil capable de mesurer la teneur en particules fines n’est installé ! (voir le site de la Cellule interrégionale de l’environnement -CELINE). Avant d’installer de nouvelles technologies permettant une gestion plus fine des usages de la rue, ne faudrait-il pas plutôt envisager de mettre en service des outils déjà existants (mais mystérieusement absents en certains points de la ville) afin de lutter plus efficacement contre la pollution là où elle est indiscutablement identifiée… et, bien entendu, prendre les mesures qui s’imposent !

En ne donnant pas la parole à une critique constructive sur ce qui est avancé, le réalisateur risque d’endosser le rôle de porte-voix de discours officiels.

Une autre séquence qui pose un problème concerne la « journée sans voiture » : les images ne sont pas commentées et rien ne nous permet de savoir qu’il s’agit de la journée annuelle durant la semaine de la mobilité, à la mi-septembre. Sans indication dans le film, on pourrait imaginer que Bruxelles est une ville où les citoyens roulent volontiers à vélo ou déambulent joyeusement sur les trottoirs et (de manière irresponsable) sur les chaussées !

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