Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | focus

Carlos Payan, contrebassiste et compositeur - rencontre

∏_Web_Fwb_69A8032.jpg
Carlos Payán est l'un des six artistes et ensembles sélectionnés pour la journée de ProPulse qui s'est déroulée ce 3 septembre 2021 à Flagey. Nous l'avons interrogé sur son parcours, sa démarche artistique et sa vision du monde musical classique et contemporain...

PointCulture - Bonjour, Carlos Payán. Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Carlos Payán - Bonjour Nathalie Ronvaux, tout d’abord je vous remercie pour cette interview et je salue les personnes qui suivent cette publication de PointCulture !

Je me présente rapidement : je suis mexicain et je proviens de Mexico, ville où j’ai grandi. Concernant mon parcours musical, j’ai commencé à jouer la contrebasse dans un orchestre communautaire, pas loin du quartier où j’habitais à l’époque sous l’égide d’un ami cher qui s’appelle Oscar Argumedo. Ensuite, je suis entré à l’École Supérieure de Musique et à l’Orchestre Mexicain des Jeunes où j’ai rencontré la professeure Valeria Thierry. Plus tard en 2008, j’ai été admis dans la Haute École de Musique de Genève où j’ai réalisé un master en interprétation et un autre en pédagogie instrumentale. Pendant cette période, mes professeurs d’instrument ont été Mirella Vedeva et Alberto Bocini. Dernièrement, j’ai fini un master en contrebasse baroque avec le professeur James Munro au Conservatoire Royal de Bruxelles. A présent, je continue une formation d’un an en contrebasse viennoise dans la même institution.

En parallèle, je m’intéresse à la composition musicale et à la création interdisciplinaire. En effet la création est devenue il y a quelques années une partie essentielle pour mon développement intégral. Depuis quelque temps, j’essaie de développer un projet de contrebasse seule où je joue mes propres compositions et des adaptations d’œuvres baroques. Dernièrement, j’ai voulu intégrer l’électronique à ce projet et ce qui est en train de naître est une toute nouvelle création musicale avec mon collègue Alex Recio qui est compositeur et qui s’occupe de la partie électronique.

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir la contrebasse ?

Carlos Payán: Le premier instrument de musique avec lequel j’ai eu contact, c’était la guitare. J’ai commencé à jouer en autodidacte avec mon grand frère, on jouait des chansons rock qu’on aimait. Ensuite, grâce à la proposition de mon frère, j’ai intégré son groupe où j’ai pris le rôle de bassiste mais sans être très convaincu au début. Petit à petit, je me suis engagé plus dans ce rôle. Plus tard j’ai commencé à écouter du blues et du jazz, ce qui m’a donné l’envie d’apprendre la contrebasse. Mais le premier contact que j’ai eu avec cet instrument, c’était à travers la musique classique et voilà, je suis là…

Aujourd’hui encore, le répertoire pour contrebasse seule est assez maigre. Pourtant, vous démontrez dans votre projet « La trace basse » que cet instrument est plein de ressources. Vous avez aussi reçu des engagements, comme dernièrement au Delta à Namur. Entrevoyez-vous un regain d’intérêt pour cet instrument ?

Carlos Payán : C’est vrai que la contrebasse comme instrument soliste dans les milieux classique et contemporain est encore méconnue, il est vrai aussi que le répertoire soliste pour cet instrument est restreint si l’on compare au répertoire du violon ou du piano. Malgré ce constat, à l’heure actuelle, la contrebasse soliste a gagné quand même de la visibilité grâce aux nombreuses et nombreux interprètes qui ont essayé de la mettre en évidence. En effet, j’estime que depuis les années 70’s le développement de la technique a beaucoup évolué et a facilité en quelque sorte cette visibilité. Peut-être que ce que je vais dire est contradictoire, mais en même temps, cette visibilité reste encore très locale, presque entre contrebassistes, à mon avis. Dans le milieu contemporain, je trouve que le public est déjà différent et que, grâce à l’exploration d’autres ressources que cet instrument contient en lui et à la recherche des nouvelles formes et lieux de représentation, la contrebasse touche un public un peu plus diversifié. Donc c’est dans ce milieu que j’entrevois un regain d’intérêt un peu plus marqué.

Dans votre spectacle, vous faites dialoguer votre instrument avec l’électronique. Pouvez vous nous expliquer quelle part vous donnez à l’une et à l’autre ? Comment s’articule la création humaine et l’algorithme de la machine ?

Carlos Payán : En effet, ce projet est ouvert et donc toujours en cours d’exploration, nous essayons de créer une cohésion sonore entre la contrebasse et l’électronique, à la façon de ce que nous appelons « musique de chambre » mais en même temps comme s’il s’agissait d’un seul instrument, même si parfois la contrebasse ou l’électronique joue le rôle principal à l’intérieur de la performance. Donc, de ce point de vue, la place de l’une et de l’autre est au même niveau d’importance.

Alex Recio : Pour Propulse ce que nous avons fait, c’est mettre en avant-plan la contrebasse de Carlos et ses compositions. La partie électronique est, donc, un soutien sonore qui renforce l'esprit de ces œuvres et qui nous permet de créer un discours monolithique et unifié, mais aussi d'une progression constante. C'est pour ça qu'on organise le concert en trois parties bien définies, avec introduction et interlude électroniques qui agissent comme un point d'union entre les différentes pièces.

Cet accompagnement sonore est plus ou moins constant pendant tout le concert et, selon la pièce, on travaille le dialogue contrebasse-électronique de différentes manières. On peut bien travailler avec des « samples » et sons pré-enregistrés et gérés en live, avec des effets appliqués à la contrebasse ou en utilisant l'instrument lui-même comme générateur du son et du contenu électronique.

Cette année, PointCulture a conçu sa thématique autour de la réflexion « Tout peut changer ». De votre point de vue, quel(s) changement(s) seraient souhaitable(s) dans le milieu de la musique classique et contemporaine ?

Carlos Payán : La réponse à cette question peut être d’une vaste complexité, car de mon point de vue, les milieux de la musique classique et contemporaine sont concernés - comme presque tout dans nos sociétés - par des facteurs d’ordre multidimensionnel : certaines politiques, d’autres culturelles, de consommation et production, etc. En effet, votre question me fait penser à celle-ci : comment et quelle place nous voulons donner à l’art dans ces temps d’incertitude et d’utilitarisme ?

À mon avis, aujourd’hui ce que nous appelons art peut facilement devenir tout et rien, peut évoquer tout type de significations à travers de multiples objets, surtout visuels et sonores : dans la publicité commerciale, nous voyons aussi des œuvres du passé utilisées pour revendiquer diverses idéologies ou servir le prosélytisme politique, etc. Parmi ce foisonnement d’usages et de définitions de l’art et de l’activité artistique, il me semble important de se questionner par rapport à son essentialité - s’il y en a une -.

Un des risques que je perçois, c'est la réduction de l'activité artistique à une simple source de divertissement, mesuré par sa valeur d’usage et consommation, soumise aux lois du marché et par conséquent vue comme une simple plateforme de réussite sociale pour les artistes qui évoluent dans un monde où les exigences académiques et professionnelles sont axées sur l’efficacité et la spécialisation. En effet, si on continue à associer l'art à l’idée du progrès linéaire, au succès individuel, à la pure perfection de la technique ou à l'entretien des besoins du prosélytisme politique, il sera plus difficile d’envisager le potentiel qu'il porte en lui pour travailler avec notre conscience et pouvoir réorienter nos manières conditionnées d’agir, de penser et de sentir qui empêchent un développement plus équitable dans nos sociétés. Voir seulement la belle image de l’art ne pourra donc être fondée que sur un idéal superficiel de beauté plaisante et passive. En effet, si l’art a une finalité, ce serait peut-être un essai de montrer l’étrangeté de la réalité, de l’existence, de transmuter – sans vouloir donner une réponse univoque et concrète – les signes de la vie quotidienne en symboles. L’art revit donc les paradigmes de la condition humaine qui sont à mon avis métahistoriques : la vie, la mort, l’existence ou l’inexistence de Dieu, l’amour, la douleur… L’art met en question l’être humain lui-même et son rapport au monde.

Dans ce sens, il est donc important de se remettre en question sur les plans personnel et collectif, afin que chaque personne puisse prendre un positionnement critique, d’observation, de dialogue et d’ouverture envers ses structures intellectuelles, psychologiques et émotionnelles propres, qui modèlent notre rapport avec l’art, sa création, sa performance, sa transmission, son enseignement, sa contemplation etc. Mettre en lumière les ressources qu’on pourrait récupérer de l’imaginaire humain pour faire face aux paradigmes existentiels auxquels nous sommes confrontés dans le monde contemporain – globaux et locaux, sociaux, politiques, psychologiques, économiques, écologiques –, voilà ce qui sera de plus en plus nécessaire si on veut mieux comprendre certains aspects des réalités globales et personnelles d’aujourd’hui.

Pour moi c’est à partir de ce type de réflexion qu’il faut envisager des changements dans les milieux de la musique classique et contemporaine. Quels changements nous voulons ? je laisse la question ouverte…

Page Facebook de Carlos Payan

Propos recueilli par Nathalie Ronvaux

Photographies : © Jean Poucet

En lien