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« Carta Canta » : hommage des Musées royaux des Beaux-Arts à Pierre Alechinsky

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En place jusqu’au 1er août dans les murs des Musées royaux des Beaux-Arts, l’exposition Carta Canta donne à contempler plus de 200 dessins, aquarelles, eaux-fortes, lithographies et peintures réalisées entre 1948 et 2020, le tout signé Pierre Alechinsky.
« L’œuvre d'Alechinsky est l'expression d'une manière de penser – ou de dé-penser – qui passe par le plaisir de peindre pour mieux dé-peindre. » — Michel Draguet

Longue histoire que cette amitié entre les Musées royaux des Beaux-Arts et l’un des plasticiens belges consacrés au-delà de nos frontières nationales, le nonagénaire Pierre Alechinsky. C’est dire qu’à force de faire don de ses œuvres à l’institution, l’homme a contribué à étoffer les collections fédérales de plus de 270 réalisations de son cru. Aux yeux de Michel Draguet, le directeur des MRBAB, l’œuvre de l’artiste s’inscrit au sein d’une tradition qui fait écho à la figure de Peter Bruegel l’Ancien – primitif flamand mort à Bruxelles… dans les Pays-Bas espagnols ! –, en passant par les contemporains James Ensor et René Magritte. Quel rapport, pensez-vous, entre des styles que, de prime abord, tout sépare ? Dans la lignée de ses illustres prédécesseurs, mais à sa manière, Pierre Alechinsky peint « pour mieux dé-peindre » à travers « l’expression d’une manière de penser ou de dé-penser » l’art pictural.

Presque sept décennies sont à appréhender à travers l’exposition baptisée Carta Canta, laquelle présente essentiellement des dessins, aquarelles, eaux-fortes et lithographies, pour finir par ménager quelque espace à la peinture. Il faut le savoir, ceux qui viennent dans l’intention de contempler les grands formats les plus célèbres du peintre, exécutés à l’huile sur toile, ne frappent pas à la bonne porte : des réalisations telles que The Ant Hill (1954) et Vanish (1959) demeurent jalousement gardées dans les murs du Solomon R. Guggenheim à New York. Mais qu’à cela ne tienne, l’art plastique n’est pas seulement une affaire de peinture, surtout en ce qui concerne l’artiste en question. Le Cadeau (1993), pièce emblématique des « trois trésors » de Pierre Alechinsky – le fameux trident encre-papier-pinceau – illustre à merveille sa propension à l’expérimentation et aux échanges avec ses pairs. C’est son ami Walasse Ting qui lui enseigne la « manière chinoise » de dessiner au pinceau, le papier invariablement couché au sol, le bol d’encre tenu à la main, le corps totalement investi, en une philosophie qui s’apparente à s’y méprendre à celle du Shodo japonais. But recherché : atteindre la pleine conscience à mesure que se déploie le processus créatif.

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Cadeau (1993) - Pierre Alechinsky

© MRBAB, Bruxelles / Courtesy of the artist  |  photo : J. Geleyns - Art Photography

Ce petit dessin, dont l’objet figuré ne fait aucun doute, dit autre chose de l’exposition coordonnée par Michel Draguet : il illustre la tendance générale de l’œuvre à raconter l’existence de son créateur par bribes discrètes que la médiation se doit de souligner. En l’occurrence, le Cadeau est, on l’aura compris, le pinceau lui-même, une offrande de l’artiste Shiryu Morita à Alechinsky lors de son séjour à Kyoto. Ses Racines et radicelles sans doute charriées par Un paquet de mer lors d’une de ses promenades sur une plage du Midi de la France en 1952 procèdent de la même idée, bien que ces compositions à l’encre de Chine aient été tracées près de quarante ans plus tôt. À une époque où le jeune homme, sans jamais se revendiquer de l’art abstrait, se marginalise pourtant de la représentation figurative du réel, plaidant pour une pratique qui décrit moins la forme qu’elle ne ressent la matière. Un dessin de 1961 titré Mon cher… je le dis toujours pour moi tout cela ce n’est que de la peinture abstraite atteste assez de l’ironie dont Alechinsky faisait preuve à l’égard de l’opinion du tout-venant sur les récents développements de l’art moderne.

« L’œuvre provoquée par la sensibilité, l'émotion, la spontanéité, ne sera jamais abstraite ; elle représente toujours l'homme. » — Pierre Alechinsky

Si cette recherche formelle semble héritée de son temps au sein de La Jeune Peinture Belge – collectif d’après-guerre composé d’artistes tels que Louis Van Lint, Marc Mendelson et Anne Bonnet –, l’« orientalisation » de son travail est la résultante d’un périple asiatique effectué, à bord d’un cargo, jusqu’en territoire nippon. Instant charnière où l’encre et le papier s’octroient définitivement les premiers rôles, au détriment de l’huile et de la toile. Son Orientation (1955) constitue une tentative de rapprochement avec le travail du moine bouddhiste zen Sengai, autre rencontre déterminante pour le devenir de son art. Pour autant, Pierre Alechinsky sait d’où il vient et ce qu’il doit à son aventure « huileuse », commencée dès 1949, au sein du mouvement CoBrA. Opposés à toutes formes de dogmatisme, ses anciens acolytes nommés Asger Jorn, Christian Dotremont et Karel Appel (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam) partagent son attrait pour les recherches expérimentales et la spontanéité vertueuse du geste accidentel. Au confluent de toutes ces influences : Nuit polaire, une encre sur papier monumentale, peinte en 1964. Non seulement l’artiste y injecte une réminiscence de la mythologie nordique chère à Asger Jorn, mais il laisse également transparaître les « danses chamaniques » d’un certain Jackson Pollock et ses Black Paintings.

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La Nuit polaire (Pierre Alechinsky, 1964)

© MRBAB, Bruxelles / photo : Grafisch Buro Lefevre, Heule

L’exposition se poursuit et tâche de montrer en quoi, à partir de 1965, Alechinsky multiplie les expérimentations, tant sur les plans techniques que thématiques. Sans prétendre à une exhaustivité à laquelle le visiteur parviendra par lui-même, citons Central Park, qui devient ainsi sa première acrylique réalisée dans l’atelier de Walasse Ting. Dans la foulée, ses « remarques marginales » voient le jour en une série de dessins voués à encadrer – et nourrir ! – le monstre new-yorkais par le biais du marouflage, procédé qui vise essentiellement à coller un support sur un autre. En ce qui concerne les thèmes chéris par le Belge, la fin des années 1970 est l’occasion de se remémorer la découverte post-Seconde Guerre mondiale d’un pan du patrimoine immatériel wallon : le carnaval de Binche. Le chapeau de Gille fait ainsi l’objet de recherches graphiques et, en une subtile référence à l’orange qui termine sa course en une explosion de jus sanguinolent, opère une mue vers la figure flamboyante du volcan en éruption… Un souvenir de voyage, encore un.
Simon Delwart

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À propos de Binche (Pierre Alechinsky, 1967)

© MRBAB, Bruxelles / photo : Grafisch Buro Lefevre, Heule


En pratique

L'exposition se tient jusqu'au 1er août 2021.

> Site web des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

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