Cet été, cap sur la mer Baltique... (6)
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Les collections musicales de la Bibliothèque de l'Université d'Uppsala
Lorsqu’il est question de manuscrits musicaux, le nom d’Uppsala revient très régulièrement. Pourquoi ?
Cette ville
de Suède située à 70 kilomètres au nord de Stockholm possède une université
d'État fondée en 1477 ce qui en fait la plus vieille université de Scandinavie.
En outre, elle possède une bibliothèque recélant une
collection extrêmement riche.
A côté des manuscrits comprenant notamment de nombreux dons et confiscations effectués au 17ème siècle dont la bibliothèque de Nicolas Copernic ou le précieux Codex Argenteus confisqué à Prague, figurent de très riches collections musicales constituées de manuscrits parfois autographes dont certains remontent au 13ème siècle, ainsi que des partitions imprimées. Il y a aussi une vaste collection de chansons populaires imprimées au milieu du 20ème siècle. Ce fond contient aussi l’œuvre complète de plusieurs compositeurs ainsi que de la musique contemporaine.
Au fil des siècles, la bibliothèque a réussi à drainer à elle une série
de collections privées parmi lesquelles on peut citer la
collection Düben, la collection Leufsta, la collection Gimo, un fond de
manuscrits autographes de Wolfgang Amadeus Mozart, la collection Joseph Martin
Kraus et la collection Hugo Alfven et de diverses confiscations de guerre,
comme la seule copie conservée du Cancionero de Uppsala, recueil de musique
espagnole du 16ème siècle.
La collection Düben
Contenant près de 2300 œuvres musicales en manuscrits datant du 17ème siècle et des débuts du 18ème siècle ainsi que 150 publications, cette collection a été donnée à l’Université d’Uppsala en 1732 par Anders von Düben (1673 – 1738). Les membres de la famille Düben ont été Hofkapellmeister à la cour suédoise de 1640 à environ 1726 et ce sont eux qui ont réuni cet ensemble remarquable. Gustav Düben l’ancien (1628-1690) est considéré comme celui qui a rassemblé cette collection comptant des œuvres vocales et instrumentales de plus de 300 compositeurs venant d’Allemagne, d’Italie, de France, de Pologne, d’Angleterre, des pays baltes et de Suède ainsi que des pièces restées anonymes.
Cet ensemble est le
reflet de ce que comptait la bibliothèque de la cour suédoise sous les règnes
de la reine Christine (1644-1654), de Charles X Gustav (1654-60), de Charles XI(1660-97)et de Charles XII (1698-1718). La collection est restée préservée
depuis la date de sa donation à l’Université. Gustav Düben a non seulement été
maître de chapelle de la cour mais aussi organiste de l'église allemande
Sainte-Gertrude de Stockholm. Il a entretenu des relations suivies avec les
plus éminents musiciens d'Europe du nord, dont Dietrich Buxtehude (1637-1707).
A
côté de la musique vocale spécifiquement destinée au culte et de pièces
instrumentales pouvant prendre place dans le même contexte, ce sont les opéras
français de l’époque de Jean Baptiste Lully (1632-1687) qui forment la plus
grande partie de la musique profane contenue dans cette collection. On y trouve
aussi des pièces composées à la cour suédoise notamment par les membres de la
famille Düben. Chants spirituels, cantates, motets, psaumes, messes, sonates,
symphonies, ballets de cour, opéras et tragédies lyriques, arias et madrigaux,
il est difficile de citer tous les genres représentés ainsi que tous les
compositeurs. Parmi les plus représentés, citons Dietrich Buxtehude, Samuel Capricornus (1628 - 1665), Christian Geist (1640c - 1711), Kaspar Förster
(1617 - 1673) et Daniel Danielis (1635 - 1696).
Cette collection d’une richesse inestimable n’a pas encore été exploitée
complètement et nombres d’œuvres attentent encore pour se faire entendre. Après
bien des tentatives pour établir un catalogue de la collection, ce n’est qu’en
2006 que cette dernière a été rendue accessible en ligne via le Düben CollectionDatabase Catalogue.
La collection Leufsta
Cette collection contenant des livres, des manuscrits,
des partitions musicales et des gravures provient du manoir de Lövstabruk en
Uppland du Nord et a été constituée par la famille De Geer à partir du 18ème
siècle. Dès le 17ème siècle, la région de Lövsta prospère grâce à la
fabrication du fer. Ce sont les entrepreneurs néerlandais Willem de Besche
(1627-1661) et Louis De Geer (1587-1652) qui gèrent l’usine avant son rachat en
1643 par Louis De Geer. L’entreprise prospère jusqu’à devenir la forge la plus importante du pays faisant appel à une main d’œuvre venue de Wallonie, logée
sans frais et bénéficiant de l’école et des soins gratuits. En 1719, le baron
Charles De Geer (1660-1730) fait reconstruire le manoir, y ajoutant des
maisonnettes pour les ouvriers, une chapelle contenant un orgue assemblé parJohan Nicolas Cahman (1670
– 1737), les bureaux et l’administration. Devenue
patrimoine héréditaire dès 1730, la forge de Lövsta a été la propriété de la
famille De Geer jusqu’en 1986, date à laquelle le Comté d’Uppsala, le Conseil
d’administration du comté, la Bibliothèque universitaire d’Uppsala, la Commune
de Tierp et la famille De Geer créèrent la Fondation Leufsta. Charles De Geer (1720-1778), éminent entomologiste et collectionneur est le fondateur
de la bibliothèque contenant quelques 8500 livres sur les sciences naturelles
et d’autres sujets, les manuscrits personnels de De Geer et de précieux
manuscrits de Carl Linné (1707-1778). Cette bibliothèque est achetée en 1986
par la bibliothèque universitaire d'Uppsala.
La collection
musicale contient des publications et des manuscrits du 18ème siècle
provenant majoritairement des Pays Bas. La plupart des œuvres vocales et
instrumentales dont certaines sont uniques, ont été publiées à Amsterdam. A
côté des œuvres anonymes, figurent les noms de Benedetto Marcello (1686-1739),
Antonio Maria Bononcini (1677-1726), Johann Adolf Hasse (1699-1783), PietroAntonio Locatelli (1695-1764), Carl Heinrich Graun (1703-1759), Hinrich Philip
Johnsen (1717-1779), Francesco Antonio Uttini (1723-1795) et
Johan Helmich Roman (1694- 1758). Parmi les genres représentés, on compte une
trentaine de sonates pour divers instruments, une vingtaine de menuets
instrumentaux, des sonates en trio, des concertos, une douzaine d’opéras et des
arias séparés.
La collection Gimo
Situé en Uppland, Gimo Manor est le nom donné à la demeure de la famille Lefebure à l’époque où elle y habitait. Cette collection a été constituée par Jean Lefebure (1736-1805), fil de Jean-Henri Lefebure (1708-1767) (Johan Henrik Lefebure) un riche négociant en métaux, descendant de huguenot, installé en Suède, et son pédagogue Bengt Ferrner (1724-1802) durant leur voyage d’étude en Europe entre 1758 et 1762. Par la même occasion, Bengt Ferrner fit de l’espionnage industriel en matière de travail des métaux et du verre. Il consigna ses précieuses observation dans un journal, conservé lui aussi à la Bibliothèque Universitaire d’Uppsala, mais ceci est une autre histoire. La Collection Gimo a été donnée à la bibliothèque de l’Université d’Uppsala en 1951 par le docteur Gustaf Brun (1886-1958) qui possédait aussi une importante collection de livres.
La collection consiste en copies
commercialisées d’airs d’opéras, d’ouvertures, de sonates et autres pièces achetées
dans les villes du nord de l’Italie. Elle est le reflet des goûts de l’époque. On
y trouve des opéras de Niccolò Piccinni (1728-1800),
Baldassare Galuppi
(1706-1785), Salvatore Perillo (1731-1799), Niccolo Jommelli (1714-1774) et des
pièces de Johann Christian Bach (1735-1782).
Une importante
partie du fonds est constitué de quelques 360
pièces écrites pour la mandoline, que ce soient des sonates en solo ou en duo.
Parmi ce répertoire, 19 pièces sont conçues pour ensemble de chambre :
concertos, sinfonie, trios mêlant la mandoline à d’autres instruments. Les
compositeurs représentés sont, entre autres, Carlo Cecere (1706 - 1761), Giovanni
Battista Gervasio (1725 - 1785), Emanuelle Barbella (1718 - 1777), Domenico
Caudioso (? - ?), Vito Ugolino (c1730 - 1790).
Le classement Gimo permet de s’y retrouver dans ce répertoire foisonnant grâce à une liste représentative.
Le Fond Wolfgang Amadeus Mozart
Franz Xaver Mozart par Karl Gottlieb Schweikart (1825)
La Bibliothèque universitaire d’Uppsala contient aussi des manuscrits
autographes de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) acquis grâce au diplomate Fredrik
Samuel Silverstolpe (1769-1851). Cet élève de Joseph Martin Kraus, auteur de 130 chansons, d’une biographie
de Kraus et de divers articles portant sur la musique a été chargé
d’affaires de l’ambassade de Suède à Vienne dans les années 1790. Grand amateur
de musique, il a eu des contacts réguliers avec Joseph Haydn (1732-1809) dont il traduira l’oratorio La Création en suédois pour sa
production à Stockholm en 1801. Il fit aussi la connaissance de Constanze
(1762- 1842), la veuve de Mozart et c’est ainsi qu’il entra en possession d’un
lot de manuscrits contenant la cantate maçonnique Die ihr des unermesslichen
Weltalls Schöpfer ehrt (KV 619), ainsi que des esquisses des opéras La
Flûte enchantée (KV 620) et La Clémence de Titus (KV 621) sur lesquels
Mozart a travaillé en 1791. Ces manuscrits sont particulièrement précieux par les
notes marginales qu’ils contiennent et qui sont de la main de Mozart. Le lot de
manuscrits a été légué à la bibliothèque, enrichi par un portrait de Mozart et
une chanson écrite par son fils Franz Xaver Mozart (1791-1844) à l’âge de 10
ans.
La collection Joseph Martin Kraus
Portrait de Joseph Martin Kraus attribué à Jakob Samuel Beck (1775)
Ce compositeur allemand a été le
protégé du roi Gustav III (1746 - 1792) de 1780 à sa mort en 1792. Compositeur
d’opéras, de musique vocale et instrumentale, il voyagea en Europe où il fit la
connaissance de Haydn, de Christoph Ritter von Gluck (1714-1787) et du Padre Martini (1706-1784), entre autres. C’est le diplomate
suédois et grand amateur de musique Fredrik Samuel Silverstolpe qui a transmis
à la bibliothèque cette collection de manuscrits autographes comprenant
approximativement 100 œuvres de Kraus, la plupart en partitions.
La collection Hugo Alfvén
Dessin de Peder Severin Kroyer (1903)
Compositeur
suédois, chef d’orchestre, violoniste et artiste peintre, Hugo Alfvén (1872-1960) a été « Director
musices » à l’Université d’Uppsala entre 1910 et 1939. A sa mort, ses
manuscrits autographes ont été transmis à l’Université. Jan Olof Ruden (1937-) a
été chargé de répertorier les 214 œuvres que contient la collection et de créer
un catalogue portant son nom pour les œuvres sans numéro d’opus.
Le Cancionero de Uppsala
Page de garde de l'édition originale
La pièce maitresse dont peut à juste titre
s’enorgueillir la Bibliothèque de l’Université d’Uppsala est sans conteste le
Cancionero de Uppsala, également connu comme Cancionero del Duque de Calabria
ou Cancionero de Venecia. Cette collection unique de musique vocale espagnole a
été imprimée à Venise en 1556 par Geronimo Scotto (ca. 1505-1572)
sous le titre exact « Villancicos de diversos
autores, a dos, y a tres, y a quatro, y a cinco bozes, agora nuevamente
corregidos. Ay mas ocho tonos de Canto llano, y ocho tonos de Canto de Organo
para que puedam aprovechar los que a cantar començaren. » (Villancicos de divers auteurs, à deux, à
trois, à quatre, et à cinq voix, nouvellement corrigés. Il y a de plus
huit tons de plain-chant et huit tons pour l’orgue qui pourront servir à ceux
qui commencent à chanter). Ce recueil a
été compilé à la cour de Ferdinand d’Aragon (1488 – 1550), duc de Calabre à
Valence et contient 54 villancicos espagnols à 2, 3, 4 et 5 voix et 16 pièces à
1 et 2 voix dans les 8 tons d’Église à visées pédagogiques. Le volume, de
petite taille, n’a ni dédicace ni prologue, ce qui rend la détermination des
circonstances qui l’ont vu naitre très difficiles. Son index classe les œuvres
en six groupes : villancicos à 2, 3, 4 voix, villancicos de Noël 3 et 4
voix, villancicos à 5 voix. A ce classement s’ajoutent les exemples de
plain-chant et ceux de pièces pour l’orgue. Toutes les pièces sont en castillan
à l’exception de quatre qui sont en catalan, une en latin et une en dialecte
portugais. La majorité des pièces est anonyme mais par recoupement avec
d’autres sources, il a été possible d’en attribuer la paternité à des
compositeurs comme Juan del Encina (1468-1529), Cristóbal de Morales (1500-1553),
Mateo Flecha le vieux (1481-1553), Bartomeu Cárceres (16ème) et
quelques autres. L'unique exemplaire connu de l'édition a été trouvé en 1906
par le musicologue et diplomate Rafael Mitjana (1869-1921) à la Carolina
Rediviva, partie de la Bibliothèque de l'Université d’Uppsala. Mitjana
publia en 1909 une étude sur le livre intitulée « Cincuenta y cuatro canciones españolas del siglo XVI »
(Cinquante-quatre chansons espagnoles
du XVIe siècle) dans laquelle il commente et transcrit le
texte des pièces.
Et si vous vous perdez en cours de route, ces
riches collections sont accessibles aussi via le catalogue international.
Anne Genette
Cet article fait partie du dossier Baltica.
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