Cie Point Zéro | Hippocampus Highway
Avec L’errance de l’hippocampe, Jean-Michel D’Hoop nous emmène dans un dédale de souvenirs transposés, d’angoisses et de beautés dangereuses. D’Eraserhead à Inland Empire, de Blue Velvet à Lost Highway, il revisite l’esthétique obscure et électrisante de David Lynch. Immersion dans une œuvre atypique.
Labyrinthe
Pour raconter cette histoire cervicale, quoi de plus normal que de faire référence au maître du « Cinéma cerveau ». Celui qui, avec Lost Highway ou Inland Empire, a créé non seulement une esthétique propre à son propos mais qui a surtout balisé une nouvelle manière de figurer l’impossible, l’abstraction, dont le sujet tient plus dans les images en elles-mêmes et à leur ressenti qu’à une volonté générale de faire sens pour guider et rassurer le spectateur. C’est grâce à ces expériences d’insécurités et à cette forme de lecture déjà éprouvées que le spectacle se met en place. Tout de suite conquis par une forme d’étrangeté ultra reconnaissable, le ballet visuel se déploie et le labyrinthe des émotions prend le pas sur une futile obligation de compréhension immédiate. On erre au centre de cette esthétique sans savoir où cela va nous emmener : couloirs, tapis rouges, chambre bleue, projections et présences réelles simultanées, êtres étranges et maître de cérémonie en queue-de-pie… Pourtant, à force de parcourir ce dédale, on s’aperçoit que Jean-Michel D’Hoop est moins avare en narration que David Lynch. Vincent avance dans sa nuit. Entre les souvenirs vécus rejoués, le dédoublement des sentiments ou des personnages le lyrisme des songes, l’envie de sortir de cette ornière comateuse se dessine de plus en plus franchement. Retrouver le monde prend sens. Les scènes énigmatiques aussi.
La marionnette énigmatique
Depuis l’origine de son travail, Jean-Michel D’Hoop façonne et augmente son propos par l’utilisation du masque et de la marionnette. En créant des créatures hybrides, tantôt humaines, tantôt monstres, il pose des faciès définis exprimant, le plus souvent, les sentiments profonds de ce que ces personnages véhiculent. Ici, une fois n’est pas coutume, c’est un robot, dont la tête de scaphandrier n’implique aucun pathos, mais qui a l’avantage de pouvoir prendre plusieurs identités, voire celle de Vincent à des âges différents Il ouvre le spectacle, revient par intermittence, clôt le spectacle. Il est donc le guide de cette plongée de l’autre côté du « Moi », tirant de loin les ficelles de l’histoire. Il est une sorte de pendant sympathique à « l’homme mystérieux » de Lost Highway ou à l’énigmatique « nain qui danse » de Twin Peaks.
Dans une esthétique parfaite, aussi envoutante que bluffante, L’errance de l’Hippocampe nous fait replonger dans l’univers lynchien avec pertinence. Les limbes de Jean-Michel D’Hoop sont jonchés de souvenirs et de troubles, mais c’est un pèlerinage mental salutaire, tant pour son personnage que pour un public assurément conquis.
Jean-Jacques Goffinon
L’Errance de l’Hippocampe
Jean-Michel D’hoop
Théâtre National Wallonie-Bruxelles
16 > 27.11.2021
Production & diffusion
Point Zéro
Crédit photo : V. Vercheval