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Claudio Bernardo | Retour à Taormina

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danse, chorégraphie, Théâtre Varia (Bruxelles), Claudio Bernardo, théatre, Vincent Clavaguera, Elise Gäbele

publié le par Jean-Jacques Goffinon

Enfin, après presque deux ans de confinement, le spectacle, déjà répété maintes et maintes fois, trouve l’accès salvateur et mérité à son public. Avec Après les Troyennes, Claudio Bernardo aborde l’exil obligé. D’abord, celui des Troyennes d’Euripide, condamnées par les Achéens, mais aussi à travers elles, celui des artistes qui quittent patrie et famille pour trouver ailleurs dans le monde l’exercice de leur art, tel qu’ils l’entendent, le rencontrent et le vivent.

Sommaire

Retour là où tout a commencé, il y a bien longtemps, aux pieds symboliques des magnifiques ruines du théâtre antique de Taormina pour, qu’entre chants traditionnels, modernes ou litaniques, les exodes prennent corps et les nouveaux chemins dansent. Un moment suspendu. Unique et grisant.

Ecrire sur les épidermes

Le brésilien Claudio Bernardo est un satellite à lui seul dans le paysage chorégraphique contemporain belge. Il ne ressemble en rien à ce qui se fait ailleurs tant sa façon d’aborder la scène est singulière. Il s’y confronte pareil à une encre, noire de jais, dessinant sur les peaux qu’il expose des mots venus d’auteurs, des histoires documentées sur le(s) vécu(s), pour des œuvres au croisement du témoignage, de la poésie lyrique et de l’esthétique. Aucun spectacle du chorégraphe n’est purement stylistique, superficiel ou simplement élaboré comme des digressions exemplatives. Ils sont tous l’expression profonde d’existences multiples où s’enchevêtrent les significations aux suggestions profusionnelles.

Après les Troyennes n’échappe pas à la règle, voire la transcende. Cette fois, les récits personnels des interprètes viennent se mélanger à ceux de la tragédie classique. L’une est Andromaque, une autre est Hélène de Troie, un autre est Cassandre, et pourtant, ils sont toutes et tous des artistes dont les parcours sont synonymes de chemins par-delà les frontières, les genres, les couleurs et les langues. Claudio Bernardo, sans trahir personne, réécrit ses classiques dans le mouvement, mais aussi, une fois n’est pas coutume, par le verbe usé avec parcimonie. Par des changements de registre successifs : effets d’interviews modernes, tragédie classique à la gestuelle presque erratique, danse de serpents ou ballets violents, plongée dans les ruines rocailleuses de l’histoire du théâtre antique, Claudio nous éprouve. Il surprend ou provoque, bouscule ou hypnotise. Un spectacle comme la vie, touchant, troublant, où rien n’est morne et linéaire. De gestes lents en claques résonantes, chaque personnage continue d’avancer malgré les ronces qui les piquent et les méandres qui les heurtent, construisant ainsi une traversée qui leur est propre. Et jamais… jamais, dans la vérité comme dans le représentation, il n’y a d’histoire sans adversité. La tragédie grecque ne nous a jamais explosé aux yeux avec autant de modernité. Frappante. Frondeuse.

Cassandre, entre phare visionnaire et chant des cieux

Porté par une équipe exemplaire qui n'a pas peur de l’épuisement, ce spectacle mixe résolument les formes. Les danseuses et danseurs deviennent chanteuses, acteurs, performeuses ou tout à la fois, dans l’ordre ou le chaos. Nous, qui avons coutume de voir sur scène – et pas seulement dans les œuvres de Claudio Bernardo – l’athlétique et sculptural Vincent Clavaguera dont la danse est millimétrée aussi bien dans le geste que dans l’émotion, il devient, ici, une révélation première. En reprenant le rôle de Cassandre dans un face au public inattendu, il délaisse, pour un court instant l’expression uniquement corporelle, et devient un acteur confondant :

« Quelque chose s’est déplacé en moi. J’ai rencontré des mouvements étranges, des sons étranges… et je me suis désarrimé de ce monde dont j’étais issu. Plus personne ne pouvait me comprendre (..) J’ai fait une plongée dans la danse (…) L’exil est une solitude extrême à laquelle je me suis dévoué (…) Ma maison est un amas de pierres devenu l’endroit idéal de mon exil. Un phare au centre d’un univers en perpétuel mouvement...» — Vincent Clavaquera

On souffle en l’écoutant, on espère un peu de recul et de calme tant les mots de Vincent nous touchent au cœur. Il est aussi juste que ses mots, avec l’excellence du félin.

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S’ensuit l’intervention énergique d’Elise Gäbele, chanteuse lyrique, qui vient accompagner la danse vers sa contrition. L’occasion est cette fois trop belle pour ne pas s’attarder sur cette voix d’exception dont l’interprétation nuancée est toujours emprunte de finesse et d’authenticité. Face aux révélations de Cassandre, elle parcourt le plateau pour l’inciter, par des gestes violents et muets d’abord, à un ballet tribal décalé, aux fluidités décousues et aux gestes fracturés. Elle l’oblige ensuite au jugement de la foule et entame, enfin, pour lui seul, un chant lyrique qui mélange la rédemption aux besoins de quiétude. Une transition magistralement élégante.

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Après les Troyennes, est et restera une pierre particulière dans l’édifice que construit Claudio Bernardo avec sa Compagnie As Palavras (Les Mots) depuis maintenant plus de 30 ans. Il revisite la mythologie pour lui donner les couleurs de la modernité, celle d’un monde en perpétuel mouvement où les exils et les départs sont légions aussi bien pour les artistes créateurs pris ici comme premier exemple, que dans l’actualité plus large. Il dresse la cartographie émouvante des chemins abrupts qui nous racontent, de près, de loin, la vie épineuse par excellence devient poésie du sublime. La première, c’est ce soir au Varia. Courez, bonnes gens, nos odyssées ne sont pas terminées. Tout reste à faire.

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Jean-Jacques Goffinon

Au Théâtre Varia du 10 au 18/12

Crédit photos : Jean-Luc Tanghe

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