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Communa, acteur « associationniste » de l’urbanisme transitoire

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Protéiforme, l’urbanisme transitoire arbore bien des visages, qu’il soit d’utilité publique ou un moyen comme un autre d’engranger du capital. Au cœur de cette jungle qui tantôt transforme la précarité en manne financière, tantôt récupère les bonnes pratiques par le social washing, l’ASBL Communa tente de se maintenir sur l’étroite crête de la moralité. Avec comme horizon à atteindre la difficile gestion par les communs de lieux d’expérimentations qui, un jour peut-être, confineront à l’autonomie.

Sommaire

« L’éventail d’arguments déployés en vue de convaincre les propriétaires fonciers de signer une convention d’occupation temporaire est large tant les coûts de vacance s’avèrent potentiellement élevés. — »

Un remède à la crise du logement ?

« Faciliter l’urbanisme transitoire à finalité sociale », un en-tête mis en évidence de telle manière qu’il laisse peu de doutes sur la mission que s’est fixée Communa… tout en soulevant plusieurs interrogations quant au jargon employé. Sans trop s’attarder sur l’aspect sémantique, l’activité à laquelle se prête l’association consiste à jouer les intermédiaires entre des propriétaires de bâtiments vacants et des individus bien en peine de pouvoir contracter un bail locatif au prix du marché. A fortiori à Bruxelles.

Selon les chiffres avancés par la Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises (SAW-B), une ville comme Bruxelles recensait, en 2018, entre 15 000 et 30 000 logements inoccupés et 1,5 million de mètres carrés de bureaux vacants. Un constat rendu d’autant plus aberrant que le nombre de personnes éprouvant des difficultés à s’y loger ne cesse de croître. Mais celles-ci ne sont pas seules puisque de nombreux collectifs, associations ou entrepreneurs à l’activité émergente s’accommodent mal de la pression financière que l’état du marché locatif fait peser sur leur modèle économique.

C’est là que Communa intervient en démarchant les propriétaires de bâtiments vides, qu’ils soient privés ou publics. Et l’éventail d’arguments déployés en vue de les convaincre de signer une convention d’occupation temporaire est large tant les coûts de vacance s’avèrent potentiellement élevés : entre entretien, sécurisation, taxes à la fois communales et régionales, etc. les prétextes sont légion. Une fois l’accord obtenu, les projets ainsi mis en œuvre sont voués au logement de personnes précarisées, à l’entrepreneuriat social, ainsi qu’aux milieux artistique et associatif… lesquels sont encadrés par l’ASBL dans l’élaboration de modes de gestion collective du lieu qu’ils investissent.

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Crédits : Communa ASBL

Un positionnement « associationniste »

Fondée en 2013, Communa s’était déjà distinguée d’autres associations d’urbanisme temporaire en inversant le mécanisme alors le plus répandu : la régularisation de situations observées de facto, qu’on qualifie communément de squats. À rebours d’un tel processus, l’association cherche à trouver un accord préalable avec les propriétaires avant de procéder à une sélection des projets d’occupation.

Au même titre que Toestand, Commons Josaphat ou La Maison à Bruxelles, Communa s’intègre dans un écosystème qui se donne comme objectif d’apporter une réponse à un besoin social que Mathieu Vanwelde de SAW-B qualifie d’« associationiste »… par opposition au service proposé par d’autres acteurs – marchands quant à eux – d’un secteur en pleine expansion.

« On peut se demander si les retombées positives d’une telle initiative ne généreront pas une forme de gentrification de nature à marginaliser les populations locales, pour une large part composées de classes populaires issues des logements sociaux environnants. — »

Ceux-ci, à l’image d’une entreprise hollandaise du nom de Lancelot, entendent gagner sur tous les tableaux : d’un côté, en se faisant rémunérer par les propriétaires, de l’autre, en récoltant les loyers de locataires en situation de précarité, auxquels ils imposent toujours davantage de conditions liberticides… Pour cause, les occupants ne sont pas considérés comme des locataires, mais bien comme des gardiens « employés » par ces agences anti-squat. Ubérisation du logement, pensez-vous ?

Ce type de pratiques, mues par des motivations strictement commerciales – et aux antipodes de celles d’une association comme Communa – sont aisément identifiables. Mais qu’en est-il quand d’autres acteurs du secteur, enrobés dans un packaging plus sexy, se réclament d’une mission de redynamisation des quartiers par le biais de l’occupation temporaire ?

À l’image de l’ASBL Up4North, qui se propose de « donner un nouveau souffle au Quartier Nord de Bruxelles ». Publics ciblés ? Jeunes start-ups et projets culturels dans la courbe ascendante de la hype. On peut dès lors se demander si, pour l’essentiel, les retombées positives d’une telle initiative ne généreront pas une forme de gentrification de nature à marginaliser les populations locales, pour une large part composées de classes populaires issues des logements sociaux environnants… Ce que Communa tente de combattre, autant que faire se peut, en identifiant au préalable les besoins du quartier qu’elle entend s’approprier.

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Crédits : Communa ASBL

Une gestion par les communs ?

Si Communa chapeaute désormais toujours plus de nouveaux lieux (Maxima à Forest, l’ABC à Anderlecht, le Tri postal à Saint-Gilles), c’est d’une fameuse Serre ixelloise que tout est vraiment parti. Ex-coordinateur de Tournevie – une outilthèque ayant trouvé refuge dans ce quartier populaire sis entre les places Flagey et Jourdan – Yannick Schandené peut témoigner de l’interdisciplinarité qui, par moments, a pu régner au sein de ce lieu atypique, entre workshops divers, association d’inclusion et d’hébergement à destination de réfugiés, restaurant social, logements, etc.

Quand on le questionne sur le souhait affiché par Communa d’insuffler une dynamique de type bottom-up, tant dans la sélection des projets que dans la gestion quotidienne des lieux, Yannick se garde bien de remettre en question des motivations qu’il juge sincères, quoique confrontées à une réalité parfois récalcitrante : « Ça a toujours été leur volonté mais, en pratique, ça devient problématique. Ça nécessite beaucoup de discussions pour lesquelles les différentes organisations manquent de temps. Avoir tout le monde autour de la table, c’est impossible ». Dans ces conditions, la prise de décision semble demeurer le privilège d’une minorité qui, au sein de certaines associations, peut se payer le luxe de se consacrer à une réflexion sur la gestion par les communs. Les autres se voient logiquement accaparés par des priorités inhérentes au développement de leur propre projet.

Sur la tension inéluctable qui apparaît entre la nécessité de poser un cadre et le désir, cher à Communa, de laisser s’exprimer la créativité de chacun, Yannick choisit d’illustrer son propos par un exemple contrasté : « Dans un modèle comme celui de Lancelot, les limites sont claires donc tu ne retrouves pas ce côté rock’n’roll. D’un autre côté, ça t’apporte de la stabilité. Structurer est plus facile, quitte à perdre une partie de ses valeurs. On est toujours tenté de prendre des raccourcis… mais je fais confiance à Communa pour continuer à chercher des solutions ». Un pari sur l’avenir, encore un !


Texte : Simon Delwart

Crédits images : Communa ASBL

Cet article est également paru dans le numéro 5 du Magazine de PointCulture (page 52).