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De Belfast à Derry : le conflit nord-irlandais vu par le cinéma

Belfast 1
Le conflit nord-irlandais relève de ces querelles intestines dont les tenants et aboutissants demeurent relativement opaques aux yeux de l’observateur étranger. Sa représentation par le médium cinématographique en a permis une meilleure compréhension, notamment grâce à la retranscription de certains événements d’ampleur face auxquels on ne saurait rester de marbre.

Sommaire

Résultante d’un passé tumultueux, l’Irlande du Nord a longtemps été une véritable poudrière du fait des querelles internes qui caractérisent son histoire, et ce jusqu’à l’aube de ce vingt-et-unième siècle. Si sa grande sœur sudiste arrache son indépendance vis-à-vis de la couronne dès les années ‘20, cette irréductible parcelle de terre résiste encore aux soubresauts républicains auxquels la majorité de l’île a un jour cédé.

Dans un monde théorique, la frontière ainsi tracée entre les deux pays aurait constitué une ligne de partage claire entre des nationalistes libérés du joug britannique et des loyalistes pour qui l’Irlande ne peut se concevoir en dehors du Royaume-Uni. Mais déchirés en leur sein selon cette même fracture idéologique, les territoires du nord ne pouvaient devenir autre chose que le théâtre d’une guerre civile, connue sous un euphémisme célèbre : les Troubles (the Troubles, en anglais). Une discorde dont l’objet n’est pas strictement politique puisque les deux camps se voient recoupés par des catégories religieuses distinctes, catholiques d’un côté, protestants de l’autre, s’apparentant parfois à une guerre ethnique.

Séquence dont les premiers développements peuvent être identifiés vers la fin des années ‘60, le conflit nord-irlandais a constitué une source d’inspiration certaine pour les cinéastes, toujours friands de faits historiques d’envergure. Prises chacune pour ce qu'elles sont, les réalisations qui se sont intéressées au sujet ne rendent compte que d’une réalité lacunaire – et retranscrite à travers un prisme particulier – eu égard à la multitude de paramètres qui ont conditionné l’issue des combats. En revanche, la formation d’un corpus de films fait en sorte de croiser différents points de vue et permet à sa manière de documenter la séquence. Belfast, le dernier film de Kenneth Branagh, fait donc office de porte d’entrée à une filmographie relativement nourrie.

Ceux qui partent, ceux qui restent

Fiction autobiographique, le film reconstitue l’enfance de son réalisateur à travers le regard de Buddy (Jude Hill), benjamin d’une famille protestante dans le Belfast de l’été 1969. Pourtant située aux prémices d’un conflit qui s’étendra sur plusieurs décennies, cette période voit la violence des confrontations entre la majorité protestante et la communauté catholique atteindre un degré sans précédent. La probité du réalisateur l’exhorte à dépeindre une réalité loin de faire honneur à sa propre origine confessionnelle : ce sont ainsi plusieurs centaines de catholiques qui voient leur maison incendiée en l'espace de quelques jours, fait rapporté à l’image par une irruption soudaine de la violence dans un quartier où, semble-t-il, toutes les parties coexistent en harmonie.

« Kenneth Branagh apporte un éclairage de nature à débinariser l’aspect par trop manichéen de cette opposition de foi. — »

En termes de réalisation, faire d’un enfant le relais entre son expérience de la réalité et le spectateur autorise un traitement presque candide de l’épisode en question : appréhendées par Buddy, les exactions commises à l’égard de la minorité vivant dans son quartier apparaissent d’autant plus absurdes que le jeune garçon n’est pas en âge d’en saisir les causes. Bien qu’il replace son action dans un contexte socio-historique précis, l’identité exacte des factions belligérantes n’est jamais précisée : on comprend juste que deux camps s’opposent. L’angle est néanmoins intéressant en ce sens qu’il place le père de Buddy (Jamie Dornan) devant un choix qu’il se refuse à faire, à savoir choisir le sien.

Ce faisant, Kenneth Branagh apporte un éclairage de nature à débinariser l’aspect par trop manichéen de cette opposition de foi puisque, on peut l’espérer, la haine d’autrui cesse là où la raison s’invite. Dès lors, le film nous apprend comment certaines familles protestantes – dont celle de Buddy – décident de quitter l’Irlande, écœurées tant par l’acharnement à l’égard de leurs homologues chrétiens que par la pression dont ils font l’objet pour se joindre au nombre des tortionnaires. A ce titre, Belfast fait écho à une réalisation de Jim Sheridan, The Boxer, dans laquelle le convaincant Daniel Day-Lewis incarne un ancien partisan, désormais repenti, de l’Irish Republican Army (IRA).

Tout juste libéré de prison – où il a purgé quatorze ans pour un attentat qu’il n’a pas commis – le dénommé Danny Flynn entreprend de se reconstruire à travers sa vocation, la boxe. Le film nous fait faire un bond de près de trente ans puisque c’est le Belfast de la fin des années ‘90 qui est ici figuré, toujours sous haute tension. Enfant du pays à l’instar de Kenneth Branagh, Jim Sheridan y prône la réconciliation : son personnage entreprend de fonder un club de boxe « non sectaire », ce qui, dans le jargon irlandais de l’époque, signifie ouvert à toutes les confessions religieuses.


A pareille effronterie vient s’agréger un enjeu dramatique supplémentaire, une romance entre Danny Flynn et la dénommée Maggie (Emily Watson), épouse d’un combattant de l’IRA, désormais incarcéré. Ce développement scénaristique renseigne le spectateur sur une dimension prépondérante de la résistance républicaine, la coutume locale requérant d’une femme de prisonnier que celle-ci lui soit fidèle, quand bien même celui-ci aurait écopé d’une lourde peine. Tous ces éléments mis bout à bout, on comprend que la conjoncture n’est pas favorable pour le boxeur de Jim Sheridan. A l'instar de la famille du jeune Buddy quelque trente ans plus tôt, il est exhorté à quitter Belfast, à moins de s’opposer à son propre clan.


Les
British s’en mêlent

On le rappelle, outre la problématique religieuse, les hostilités relèvent surtout de la géopolitique puisque les opposants s’identifient à une certaine conception de l’Irlande du Nord, les uns – qu’on nomme unionistes ou loyalistes – volontiers rattachés au Royaume-Uni, les autres – républicains ou nationalistes – exigeant leur indépendance. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant d’assister à une certaine forme d’ingérence de la part de la couronne britannique, dont l’objectif avoué est de maintenir le pays au sein de sa sphère d’influence. En découle le déploiement fréquent de soldats anglais dans l’espace urbain des villes nord-irlandaises d’importance, comme le montre ‘71, premier long métrage du réalisateur Yann Demange.

« Une complexité qui permet au cinéaste de jouer sur l’ambiguïté des allégeances des uns et des autres pour accoucher d’un thriller dont on peine à extraire une valeur informative substantielle. — »

A nouveau sise dans un Belfast aux airs de guérilla, l’action de ‘71 prend sa source en un postulat simple : Gary Hook (Jack O’Connell), un soldat britannique peu au fait des enjeux géopolitiques locaux, est abandonné par son unité après que celle-ci a été prise à partie par des émeutiers catholiques, hostiles au point d’assassiner froidement l’un de ses coéquipiers désarmés. L’incipit du film a ceci d’intéressant qu’il reconstitue de façon persuasive le concept d’escalade de la violence, phénomène typique des protestations citoyennes encadrées, voire réprimées par une opération de maintien de l’ordre.

Le personnage de Gary Hook, ballotté d’un bout à l’autre de la ville par un galimatias de courants contradictoires qui dépassent son entendement, est le pivot autour duquel Yann Demange tente de mettre en scène les diverses forces en présences, tout en veillant à ne pas noyer le spectateur sous une pluie de détails contextuels. Il nous est néanmoins transmis qu’un schisme s’est opéré parmi les rebelles catholiques, divisant ces derniers entre l’IRA et des dissidents encore plus radicaux. Un surcroit de complexité qui permet au cinéaste de jouer sur l’ambiguïté des allégeances des uns et des autres pour accoucher d’un thriller dont on peine, en dernier ressort, à extraire une valeur informative substantielle. Au contraire de l’incontournable Bloody Sunday réalisé par Paul Greengrass, Ours d’or à la Berlinale de 2002.

L’axiome de départ rappelle les prémices de ‘71 : le film est introduit par une manifestation des habitants du Bogside, dans la ville de Derry – nous sommes le 30 janvier 1972 –, que des soldats anglais prétendent endiguer. La comparaison s’arrête là puisque, loin d’y être dépeints comme des victimes à la merci de la vindicte populaire, les militaires en question semblent surévaluer le danger que représentent ces civils, ouvrant le feu à balles réelles dès lors que ceux-ci leur opposent un semblant de résistance. « Tous les civils sont des terroristes », assène l’un d’eux...

Bloody Sunday

Crédits : European Film Awards

C’est en tout cas l'état d’esprit rapporté par le cinéaste qui, dans un style documentaire extrêmement immersif, tente d’amenuiser la distance qui sépare sa représentation du réel et le spectateur. Tourné caméra à l’épaule, au plus proche des protagonistes, le film procure ainsi l’impression d’images prises sur le vif qui épousent l’urgence intrinsèque du propos de Paul Greengrass, en une alliance parfaite entre fond et forme, la première se nourrissant de la seconde et vice versa. Une réalisation engagée qui fait vaciller sur ses bases la notion déjà controversée de « violence légitime », privilège absolu des autorités.


Incarcérés

Là où la plupart des manifestants – catholiques – de ce Bloody Sunday viennent revendiquer les droits civiques les plus élémentaires, notamment le même accès à l’emploi que les protestants et une meilleure représentation au Parlement, certains nationalistes forcenés sont à l’origine d’attentats à la bombe au bilan humain catastrophique. Sans doute est-il légitime, dans leur cas, de parler de terrorisme, bien que les intéressés réfutent cette qualification. Mais les terroristes ne sont pas toujours ceux que l’on croit, à l’image des « Quatre de Guildford », accusés à tort d’avoir commis pareil forfait et condamnés pour meurtre et conspiration dans le courant des années ‘70. Une histoire tragique relatée par le livre autobiographique de Gerry Conlon, Proved Innocent, dont le propos est adapté au cinéma par Jim Sheridan.

Au nom du père, c’est le titre de ce biopic poignant dans lequel Daniel Day-Lewis interprète à nouveau un individu condamné pour le crime d’autrui. Exception faite qu’il est également innocent d’avoir jamais entretenu une quelconque relation avec l’IRA. A travers son film, Jim Sheridan dénonce l’acharnement des autorités britanniques dans leur quête de boucs émissaires, prêtes à faire fi des droits humains pour arracher des aveux au premier venu afin de satisfaire l’opinion publique. C’est ainsi que, sous l’intimidation et la torture, Gerry Conlon confesse être l’auteur de l’acte abject dont il est suspecté, allant jusqu’à impliquer son père et futur codétenu. Appréhendé sous l’angle de la filiation paternelle, le titre du film revêt un double sens qui dépasse l’évidente référence religieuse et en révèle le véritable propos.


Et si l’innocent personnage incarné par Daniel Day-Lewis parvient à obtenir la révision du procès et la réhabilitation du nom de son parent traîné dans la boue, d’autres détenus enfermés pour méfaits idéologiques sont, quant à eux, allés jusqu’à faire de leurs convictions une question de vie ou de mort, comme en témoigne Hunger de l’artiste plasticien et réalisateur Steve McQueen.

Ce dernier situe son action entre les murs de la prison de Maze, en 1981, date à laquelle l’activiste de l’IRA Bobby Sands, joué par un Michael Fassbinder plus qu’investi au regard de sa transformation physique, est le premier des dix grévistes de la faim qui décéderont des suites de leur protestation silencieuse. A la fois simple et, pourtant, inconcevable aux yeux du gouvernement de Margaret Thatcher, leur revendication vise l’obtention du statut de prisonnier politique, lequel ne leur sera jamais octroyé. Reconstituée dans une esthétique extrêmement réaliste, l’agonie de Bobby Sands vue par les yeux de Steve McQueen fait partie de ces moments de cinéma dont l’éloquence permet au néophyte de saisir la hauteur des enjeux qui ont écartelé l’Irlande du Nord plusieurs décennies durant.


Simon Delwart

Crédits images : Universal / European Film Awards


Belfast : agenda des projections

Sortie en Belgique le 2 mars.

Distribution : Universal

En Belgique francophone le film sera projeté dans les salles suivantes :

Bruxelles : Aventure, Le Stockel, Kinepolis, UGC De Brouckère, UGC Toison d'Or, Vendôme.

Wallonie : Ciné Centre, Cinescope, Kinepolis, Wellington, Pathé, Plaza Art, Quai 10, Kinepolis, Le Parc, Sauvenière, Ciné Versailles, Acinapolis, Cinéma Cameo.

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