Coup2pouce : Objectif jeunes !
Sommaire
Des documentaires qui traitent, selon les envies et préoccupations de leurs réalisateurs « novices mais motivés », de questions d’actualité ou de sujets qui font débat, et qui jouissent tous d’une diffusion sur la chaine régionale bruxelloise BX1.
Trois des dernières réalisations, réunies sous le volet Héritages culturels de C2P, en libre visionnage et relayées par PointCulture il y a peu, (Fric, scandale et gyrophares , Cadavres exquis , La Colonisation belge, tu connais ?) ont aiguisé notre curiosité, et on s’est enquis auprès d’Audrey N'Guessan (coordinatrice de C2P jusqu’en novembre 2018) et de celui qui lui a succédé, Olivier Charlier, pour en savoir un peu plus…
Préparation
Audrey N'Guessan : « Coup de pouce existe depuis 18 ans, il est le projet jeunes du CVB (Centre Vidéo de Bruxelles) et accueille des jeunes à partir de 18 ans, mais pour cette série, l’une des participantes qui sortait d’un burn-out avait plus de 30 ans ! Certains émergent de la plateforme Service citoyen et choisissent de venir en mission ici pour une durée de six mois. D’autres sont recrutés via des associations ou encore par le bouche à oreille ».
Plus généralement, ce projet vidéo s’inscrit en creux des deux approches portées par le CVB que sont le YEAD (un projet développé sur cinq pays européens qui interroge la triangulation jeunesse/diversité/institutions culturelles) et le C2P. Un mode de fonctionnement par thématique annuelle, ce qui facilite à la fois l’approche et les multiples prismes de cette triangulation.
« Il y a une progression dans les thématiques qu’on questionne avec cette année un regard sur la démocratie culturelle - ou comment les cultures issues de l’immigration sont présentes dans la sphère culturelle - et avant ça, sur les premiers frottements entre l’Europe et le reste du monde au travers de cet épisode historique commun qu’est la colonisation. Et permettre à ces jeunes de ces six pays de s’y intéresser et de vérifier si, oui ou non, ils vivaient avec cet héritage » précisent les deux animateurs.
En préparation au projet, le groupe s’est vu proposer une série d’activités qui ont testé et mis à l’épreuve ses connaissances et positions par rapport à la colonisation : visite du musée BELvue, une animation sur le stéréotype par Julien Truddaïu ... et débouché sur un constat d’ignorance partagé qui a suscité des envies !
En début de seconde semaine, les participants ont construit un arbre avec leurs intérêts respectifs et ce qui peut s’avérer porteur pour la réalisation d’un film. Ils ont déterminé trois lignes de force qui allaient devenir des films et constitué les groupes en fonction des affinités électives de chacun. Les cinéastes Clémence Hébert, Coline Grando, qui épaulent le projet sont donc arrivées à ce moment décisif, où les groupes avaient déjà acquis un socle de références commun et une même approche de la thématique. Ensuite, le collectif de douze s’est divisé en trois sous-groupes qui avaient chacun son agenda propre. Dans l’organigramme de ces ateliers qui ont duré un mois, deux semaines ont été consacrées au développement et au tournage et une au montage.
Héritages culturels # 1 – Fric, scandale et gyrophares
Premier film à être diffusé sur antenne, chronologiquement, ce documentaire travaille sur « l’héritage » de la colonisation, au départ de deux pièces de théâtre qui traitent surtout de l’ignorance et du silence autour de la colonisation !
« Le groupe est allé voir deux pièces de théâtre qui s’appropriaient cette thématique. Ils ont rencontré les metteurs en scène Geneviève Voisin et Frédérique Dussenne. Les filles se sont rapidement montrées critiques vis à vis de la mise en scène de la pièce Botala Mindel (de Dussenne), et étonnées par sa réaction durant la discussion avec les jeunes qui lui reprochaient de faire reposer les ressorts comiques de sa pièce sur des notions racistes et misogynes. Cette attitude supérieure d’un homme blanc de 50 ans qui estimait être seul en position de décider de ce qui était raciste et misogyne a été pour elles un déclencheur de réactions » souligne l’animatrice.
D’autre part, le groupe dresse un constat d’ignorance et de manque de conscience presque total par rapport à la colonisation. Même si l’on considère que la Belgique a moins de 200 ans et que la colonisation occupe un tiers de cette histoire, rien ne relie ce passif colonial relativement récent aux réalités d’aujourd’hui. Deux des participants (un Guinéen et un Sénégalais) étaient tout à fait surpris du manque de connaissances des Belges alors que chez eux, la colonisation (par la France) fait partie intégrante de l’histoire de leurs pays.
Ainsi, lors d’une séance de « photolangage », un seul participant choisit une photo de Patrice Lumumba à laquelle il s’identifiait, cliché qui ne faisait malheureusement écho chez personne d’autres dans le groupe.
S’il existe une place Patrice Lumumba depuis juin 2018 (mais pas au moment de la réalisation du film) à la porte de Matonge située sur Bruxelles ville, on ne trouve pas vraiment de « lecture officielle » au niveau belge. Audrey N'Guessan : « ces jeunes ne savaient rien de Patrice Lumumba avant la visite décoloniale, et la vision d’un documentaire de Raoul Peck (Lumumba), mais tous s’étaient entichés de la figure de l’homme politique congolais et étonnés de l’opacité qui règne autour de sa mort ! Ils ont été choqués par le nombre de références à des personnes/administrateurs liés à la colonie dans l’espace public bruxellois et à l’absence totale de référence à Patrice Lumumba ! »
En conclusion de ce premier travail, C2P a libéré les énergies positives et fait remonter une histoire en eux, permis de remettre en cause des choses établies, de comprendre le monde, et d’opérer un déclic sur leur manière de penser…et de mettre à la place des autres… « Un participant, en phase de réorientation professionnelle, a avoué avoir sur le sujet appris plus en un mois au travers de cette expérience qu’en trois ans d’études », conclut Audrey.
Héritages culturels # 2 – Cadavres exquis
Ce second documentaire est lié à la notion de culture chez les afro-descendants, leur place dans la société belge et leurs liens au passé colonial, thème auquel l’animatrice se sent directement liée. « Dans les métissages afro-péens, le double rejet est une constante. Je suis issue d’un métissage franco-ivoirien et j’ai grandi en Belgique. Le passé colonial belge fait partie de mon patrimoine de même que l’oppression coloniale française. En travaillant sur cet atelier, j’ai compris des choses qui me concernaient depuis mon enfance : être renvoyée à ma noirceur ici et à ma blancheur là-bas. Autre constat : tout ce qui se fait sur la colonisation est le fait de blancs alors que Bruxelles serait l’une des villes les plus culturellement métissées du monde. Comment se fait-il que nos productions culturelles soient autant l’apanage d’un seul groupe social alors que tant d’enfants des diasporas vivent avec ces héritages au quotidien ? Une étude de la fondation roi Baudouin montrait que les Afro-descendants conjuguaient l’un des plus hauts taux de diplômes et l’un des taux d’employabilité les plus bas . Des données qui (re)posent question sur la place de la personne noire dans nos sociétés.
Comment se fait-il que nos productions culturelles soient autant l’apanage d’un seul groupe social alors que tant d’enfants des diasporas vivent avec ces héritages au quotidien ? — Audrey N'Guessan
Des questions sur les évidences ont fusé. L’une des participantes s’étonne que l’un des symboles de la Belgique est le chocolat alors que le pays ne produit pas de cacao. Une autre remarque que la statue de Léopold II ne contribue pas à créer du lien social mais plutôt à le défaire. Enfin, partie-prenantes du projet, Laura et Audrey ont été consultantes dans la nouvelle muséographie du musée de Tervuren. Comment décoloniser un musée ? La question fait sens, et on n’est est qu’au début !
Enfin le film confronte le rapport au passé colonial de jeunes vivant en Belgique mais grandis là-bas et de jeunes afro-descendants ayant vécu toute leur vie ici !
Héritages culturels # 3 – La colonisation belge, tu connais ?
En partant du constat que les citoyens belges ne connaissent que trop peu leur histoire, le film interroge notre ignorance et aborde le sujet insoupçonné du métissage. Trois Coup2pouciens dans leur quêtes et leurs questions. Avec des micros-trottoirs et des témoignages qui déconstruisent les préjugés !
On y entend des histoires méconnues et toujours sensibles comme celle d’Estelle, une enfant métisse de la colonie, aujourd’hui grand-mère, qui revient sur les multiples facettes de ce métissage qui demeure largement un sujet à questionner et à développer.
De fait, en Belgique, la petite taille du pays fait que dans chaque famille, il ne faut pas remonter très loin pour retrouver un lien avec le Congo et la colonisation. « On n’oublie qu’à l’époque, la population ne soutient pas le projet colonial, et alors qu’au moment où la Belgique en hérite (1908), c’est à un moment opportun. Mais ce manque de support de la population belge au projet colonial a été oublié, tout comme le fait que le Congo a d’abord appartenu à Léopold II (L'État indépendant du Congo de 1885 à 1908) » conclut Audrey.
Des questions par ailleurs liées au rôle, majeur mais relativement oublié, joué par l’Eglise via à un autre documentaire produit par le CVB : Pères blancs, Prêtres noirs, qui s’est penché sur les héritiers de ces missions évangélisatrices !
Question suivi, ces trois films ont intégré une mallette pédagogique de l’Ihecs sur la notion de colonisation dans l’art. Ce sont des films-outils dont les profs et éducateurs peuvent se servir comme support de travail. Les publics scolaires sont davantage réceptifs. Des diffusions publiques de ces films ont parfois lieu quand le sujet l’autorise, au cas par cas. Mais parfois, lors de diffusion en festival, les réactions peuvent être différentes. Ainsi sur le Facebook des émissions, la tante d’un participant de l’atelier y est allé d’une réaction négative outrée.
La suite
Si l’année dernière, le travail s’est porté sur les questions de cultures d’immigration et des musiques migrantes, une nouvelle émission qui questionnerait l’art est en préparation…
« Dans le YEAD, on travaille à la mise en place d’un colloque (vers mars 2019) qui s’adresse aux opérateurs culturels autour de la Génération Y ('millenials'), plus diverse que la précédente, et qui s’ancre dans cette militance pour la décolonisation des pensées, et son rapport à l’offre culturelle et la lecture de la colonisation par le milieu culturel, leur point d’adéquation ».
Du pain sur la planche donc quand l’équipe de Coup2Pouce, en travaillant à un niveau européen (Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas et Portugal), fait le constat du retard de la Belgique sur la question de la conscience du passé colonial, à la différence par exemple des Pays-Bas ou du Portugal dont la décolonisation plus récente autorise un vrai dialogue générationnel.
Yannick Hustache
Pour en savoir plus :
site de C2P
site du CVB