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Curiosités, saines ou malsaines, en abîme.

Smell's like 90's spirit

publié le

Monter un cabinet de curiosités pour interroger une décennie proche (les années 90) est un geste fort, quand on sait le rôle joué par ce dispositif dans l’émergence de la science occidentale de la modernité, telle qu’on la connaît.

Curiosités, saines ou malsaines, en abîme.

Monter un cabinet de curiosités pour interroger une décennie proche (les années 90) est un geste fort, quand on sait le rôle joué par ce dispositif dans l’émergence de la science occidentale de la modernité, telle qu’on la connaît. Cette manière de réunir des choses et des objets « curieux » afin de les interroger, de les « faire parler » petit à petit, façonnant au passage la manière de construire un savoir, élaborant sur ces prémisses somme toute aléatoires, les diverses formes de connaissance et le fondement même des certitudes scientifiques sur le monde et l’univers, dans un esprit de centralité, c’est ce que met en abîme l’installation de Kader Attia au Bozar, Continuum of Repair : the Light of Jacob’s Ladder. Au centre, un cabinet en bois, avec ses vitrines et ses objets, images, livres, instruments de mesure, représentation des anges et de la genèse, loupes posées sur les textes, portrait de Galilée, planches d’herboristes, étude des races… Les « curiosités » dans le cabinet de Kader Attia, subtilement, font partie de ces documents fondateurs de la pensée occidentale. Par ce biais, c’est un cabinet qui replace toute une série de présupposés axiomatiques, pour leur restituer leur force de curiosité exotique voire arbitraire, et éveiller la possibilité d’une distance critique. L’échelle de Jacob, échelle pour relier la terre au ciel, symbolise l’ambition des religions mais aussi celle des sciences qui sondent l’univers pour prouver, contre l’existence de Dieu, une origine rationnelle du monde. Tout autour du cabinet, de hautes étagères de livres, en anglais, allemand, français. C’est l’Occident qui pense le monde. On peut les prendre, les ouvrir, les lire. Ouvrages encyclopédiques, religieux, philosophiques, histoire des techniques, histoire de l’art, monographies sur la guerre, livres de propagande, guides pour la vie monastiques… Un choix immense qui symbolise la folie éditoriale que l’homme a déployé pour développer une pensée dominante sur les autres. Cette accumulation de titres de toutes les époques, présentant tout et son contraire sur des matières semblables, jouant de l’association qui s’effectue entre titres et couvertures selon les voisinages, esquisse une archéologie de la science. On a vite le sentiment d’un biais pervers, caché, commun à tous ces livres dans leur prétention désuète de dire ce qui est, d’énoncer la vérité, de contribuer à imposer une même vision du monde. Enfin, elle serait désuète si ce genre de production était tari, ce qui est loin d’être le cas. Cette bibliothèque quelque peu infernale se réfléchit au plafond. Là-haut, elle flotte. On aimera follement, au contraire, des bibliothèques regroupant les littératures et les pensées du doute, de la fragilité, des sensibilités multiples. Près de l’installation, contre le mur, quatre bustes en plâtre, statues pleines de prestance comme celles de personnages importants. En s’approchant, on se rend rapidement compte qu’il s’agit d’anonymes gueules cassées de 14-18 (sur lesquelles l’artiste a déjà beaucoup travaillé). Rappel de ce que les certitudes peuvent engendrer comme horreur destructrice. Un escalier permet d’aller voir au-dessus du cabinet. Dans un jeu de miroirs, un néon cru, se reflète, vers le bas comme vers le haut, à l’infini, échelle de traits lumineux hasardeux. Il faut rester longtemps, s’imprégner, regarder, bouquiner, scruter les visages de marbre grimaçants… Et ainsi, s’immiscer dans un détournement de ce qu’est un cabinet de curiosité : non plus une boîte de reflets dans lequel se mirent nos certitudes préconstruites, mais un espace où, rassemblant les éléments épars d’une réalité proche, on ouvre le questionnement à leur sujet, on déconstruit les évidences et les interprétations manipulatrices en acceptant que toute pensée sur l’histoire, sur ce qui se passe et vient d’advenir, doit intégrer la pluralité, se méfier des essentialismes…  

Informations sur l’exposition au Bozar jusqu’au 22/02 (visite gratuite) http://www.bozar.be/activity.php?id=15444  

Un blog qui en parle (un peu plus complètement que le site Bozar) : http://www.mu-inthecity.com/2014/12/bibliotheques-precieuses-plus-dun-titre/  

Information sur l’artiste : http://fr.wikipedia.org/wiki/Kader_Attia