Dandin et Poquelin, enfin royalement drôles et savamment foutraques !
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Lorsqu’on dit Clinic Orgasme Society - la COS pour les intimes - on entend, par là même, une ribambelle de mots qui se bousculent rageusement dans un bordel sans nom : créations radicales, punks à chien, iconoclastie salvatrice, impudeur drolatique, intrépidité machiavélique, surprise, dynamite et D.T.C. , extra-terrestre, gouda, vagin, grenouille et j’en passe… Une carrière épaisse !
Etrangement, ni George ni Molière ne semblent faire partie de ce champ lexical sous-entendu. Pourtant, cette fois, c’est avec ce texte, ultra classique qui plus est, que la COS a remis son ouvrage sur le métier pour transformer George Dandin en une bouffonnerie à l’imagination battante, cruelle et tonitruante. Poquelin ainsi revisité sort vivifié de ses cartons vermoulus et nous, on savoure allègre…
De l’autre côté de la Comédie française
Puisqu’il s’agit d’une farce pourquoi garder sa réserve ? Puisqu’il s’agit de jouer en costume pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la mascarade ? Comme il y a une pastorale, faisons fi du vieux Lully et chantons-la quand même. Puisque l’on parle de duperie, autant la généraliser avec intelligence et créativité.
En effet, Mathylde Demarez et Ludovic Barth ont choisi avec raison de voir les choses en grand pour appliquer à la lettre la comédie qui se doit jouer. Celle de la duperie d’abord, qui déchiquète méchamment l’hypocrisie de classes sociales, les mensonges de la fidélité catholique, les règles tacites des mariages arrangés, le patriarcat familial et les impossibles postures machistes de l’amant « mâlement » prétentieux. Un monde qui tourne drôlement en rond, à rendre fou. Un divertissement sot où chacun est si dupe de l’autre qu’il fait finalement poindre notre empathie pour ce Dandin central, cocu et gentiment sincère. Ensuite, chaque personnage est pris au pied de la lettre jusqu’à la caricature. Une caricature intelligente qui, même à travers cette vieille écriture en rimes, crayonne notre monde contemporain pauvrement superficiel et trop exclusif.
Enfin, l’esthétique délirante des costumes, réalisés par Nina Lopez Le Gaillard et Odile Dubucq, n’hésite jamais entre le ridicule, la symbolique et la parodie pour coudre sans ambages des vêtements hilarants. Un troupeau de mouton. Des bergères vêtues de buissons. La robe fendue du mari dupé. Les bouclettes too much du bel amant un tantinet glamrock. Mon dieu, quelle joie de regarder cette claque créative et profusionnelle faite à un classicisme théâtral et académique qui de ses poussières nous a toujours fait tant tousser d’ennui. Bravo.
Jeu de dupe pour artisans frondeurs
En plus de cette créativité exacerbée, l’autre atout du spectacle tient dans une distribution implacable. Un choix de maître. Yoann Blanc, triste sire mais volontaire, se bat avec tendresse et sans armes, inlassablement enclin à faire tomber le masque de son mariage infidèle. Eline Schumacher, servante vêtue de toutes paillettes, fait rimer les badinages équivoques avec facilité dans une provocation aussi certaine que volubile. La belle-mère, Olivia Stainier, détient cette improbable froideur ridicule qui caractérise les femmes de pouvoir volontairement castratrices. Grégory Duret, pareil à lui-même (aka Monsieur DJ Petit Piment) y va de ses atouts physiques comme spirituels pour singer un gogo boy pareil à un Mickael Hutchence has been à la séduction aussi discutable que surannée. Un beau mâle dites-vous ? La faussement prude mais toujours réaliste Raphaëlle Corbisier nous montre ses talents mensongers au-delà de sa plastique joliment angélique. Enfin, on ne peut oublier le Zéphyr du spectacle. Un Clément Thirion exceptionnel qui, endossant plusieurs casquettes, est confondant d’humour et de désinvolture. Déroutant s’il en est, du haut de son approximatif mètre 65, il s’impose comme jamais dans une drôlerie qui lui sied à merveille. Un travail conscient et généreux dont on ne se lasse pas. Un Art de géant.
George de Molière (Le Grand Divertissement Royal de la Clinic Orgasm Society) est un spectacle de haute couture qui réveille les morts, Molière en premier. Un spectacle qui n’économise ni ses acteurs ni son public. D’une joie palpable et omniprésente, tout ce barnum s’affaire à nous dérider par une intelligence précieuse aussi hors norme qu’inattendue. Qui a dit que les pièces classiques étaient toussives d’ennui ? Moi ? La Clinic Orgasm Society bouscule encore les préjugés à bon escient. Ici, tout n’est que modernité et hilarité justifiée. Un grand moment créatif à partager sans retenue.
Jean-Jacques Goffinon
Théâtre Varia : du 19 au 30 avril
Crédit photo : Anoek Luyten