Dans la nuit | Vulnérables mais toujours vivants
Luttes et métaphores
A l’heure des retrouvailles, Anna et Nanna sont antithèses. La première vit avec la certitude que les œillères lui vont à merveille. La deuxième porte la colère du monde. Ces deux forces convaincues se cognent. L’orage gronde, le feu s’en mêle. A force de coup, les armures s’effritent et c’est par la vulnérabilité de chacune que le dialogue reprend. Les plaies réapparaissent avec les souvenirs. Chacune panse l’autre. Elles se remémorent leurs promesses, leurs désirs d’enfant. Des désirs d’action, de monde en mouvement… De lutte.
Écrit par la slameuse Louise Emö, le texte énergique joue sur les registres de l’affect et la gamme des regrets pour basculer dans les jeux de maux. Des maux qui sont dissimulés dans chaque personnage, s’exposant, au fur et à mesure, par des verbes d’action qui s’aimantent ou s’entrechoquent. L’impératif de retrouver son âme, le bannissement du superficiel qui nous emprisonne dans l’illusion, le besoin de sortir regarder le monde dans ce qu’il a de plus cru. Tout se bouscule, se presse. L’urgence est tangible. Le spectacle se loge dans l’intention de ces deux femmes obligées de se mouvoir pour reconquérir le monde, loin de la sécurité qui les gangrène. Si ça, ce n’est pas une métaphore poétique de notre présent, qu’est-ce que c’est ?
Back to the futur
L’action se situe dans un futur proche, pourtant l’esthétique théâtrale fait volontairement un saut en arrière. Revisitant les années 90, aujourd’hui très tendance, la scénographie et les costumes produisent un effet d’ailleurs qui ne se fixe pas dans le temps. Tout en suggestion, sans rien définir, la mise en scène préfère laisser l’accent sur le discours du spectacle. A la fois véranda, boîte de nuit, ville, ou forêt, cette scénographie, toute de métal, en complète verticalité, joue de ses reflets lumineux créant des espaces interchangeables et fantastiques.
Un rayon de lumière jaune devient une porte d’entrée sur la ville, d’autres plus sombres sont des arbres ou des pieds d’immeubles, chacun interprétera sa version fantomatique.
Coline Struyf, qui vient d’être nommée directrice du Théâtre Varia, commence la saison par la programmation d’une de ses créations. Un saut périlleux, direz-vous ? Sauf que la gymnastique est plus métaphorique qu’il n’y parait. La metteuse en scène tient à signifier par ce dernier spectacle avant longtemps, qu’elle va maintenant uniquement consacrer son énergie dans la programmation du Théâtre. Une idée de déplacement. Avec « Dans la nuit », elle signe une œuvre rare sur des héroïnes créatrices de mouvement, fondatrices de changement dans un conte fantastique et fantomatique. Propice à l’imagination et à l’interprétation, le spectacle, sans être moralisateur ou didactique, s’ancre malgré tout dans la comparaison avec notre réel préoccupant.
Jean-Jacques Goffinon
DANS LA NUIT, Eloge de la vulnérabilité
Du 28 septembre au 16 octobre 2021
Théâtre Varia
Crédit Photo : Alice Piemme