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De la Fête de l'âne à L'Ode à la joie

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publié le par Nathalie Ronvaux

Lors de la fête de la musique, paradoxalement, la musique n’a nul besoin d’être festive ; peu importe qu’elle soit joyeuse ou triste, on lui demande juste d’être au rendez-vous.

Elle qui justement est de toutes les fêtes, de toutes les célébrations, la voici, en France depuis 1982 et aujourd’hui dans plus de 120 pays, partageant la 365ème partie du calendrier avec Saint Louis de Gonzague, Saint Raoul, et le solstice, qui lui accorde, en compensation, le jour le plus long de l’année. Et pourtant, réunir les mots fête et musique dans une même proposition réveille une parenté naturelle. Si, en général, la fête et la musique peuvent être perçues comme des exutoires, des excursions nécessaires hors des contraintes de l’existence, elles semblent aussi révéler une réalité plus profonde, une force vitale vouée par essence à renverser le socle sur lequel elle repose, à ronger ses propres formes, à sortir d’une logique même de survie pour un état de suspension, pour le sentiment, même s’il n’est que passager, d’appartenir à un corps plus grand. La fête, la musique, c’est l’oubli de soi, la fusion des individualités autour d’un même événement, en un même lieu et ce dernier n’est autre, le 21 juin, que la nation tout entière ; c’est ce que revendique en tout cas le slogan de Maurice Fleuret « La musique partout et le concert nulle part » lorsque ce dernier crée la fête de la musique en 1982, à l’instigation de Jack Lang.

Si du son au mouvement il n’y a qu’un pas, le répertoire du Moyen Âge délaisse la rue et reste confiné aux espaces liturgiques ou seigneuriaux, n’abordant le mouvement qu’au travers de processions ou de fêtes paraliturgiques comme la « Fête de l’âne » ou la « Fête des fous ». Il ne faudrait pas sous-estimer cependant l’importance de la dimension festive dans la musique sacrée : les messes ne sont-elles pas aussi des fêtes du souvenir ? Les premières émancipations mélodiques ne sont-elles pas nées d’un cri d’exaltation comme l’alléluia ? Et les cathédrales, véritables résonateurs d’une musique de plus en plus subtile, n’ont-elles pas offert leur parvis à toutes sortes de manifestations festives ? Il faut attendre la Renaissance avec ses danses et ses instruments pour révéler que le soleil de la fête pouvait briller aussi sur l’univers des princes, et ensuite la musique baroque qui, s’ingéniant sans cesse à dépasser la forme par la forme, édifia une architecture grandiose dédiée à l’exaltation spirituelle des uns et à la soif de grandeur des autres. Véritable concentré de fête, cette musique enivre les voix, fait rutiler les cuivres comme des soleils et fait vibrer l’orchestre comme un bouquet de nature féérique.

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Fête des fous, 1559, d'après Brueghel gravé par Pieter Van der Heyden

Cette fête somptueuse, cependant, n’éclairait guère le quotidien des peuples et s’apparentait, pour la plupart, à un astre lointain. S’il arrivait à la musique de descendre dans la rue, c’était lors de parades et de défilés militaires qui devaient devenir par la suite les vecteurs majeurs de la fête citoyenne, lorsque les pouvoirs absolus seront renversés et que les peuples, les nations et les idées auront droit aussi à leurs célébrations. Après la Révolution française, la musique investira l’espace public et, à l’image des peuples, se mettra en mouvement ; les premiers conservatoires sont créés, les orchestres d’amateurs se multiplient, la musique est en marche et fait résonner l’espace public au rythme des commémorations, des anniversaires, des victoires et, lors des fêtes religieuses, vole parfois la vedette aux processions. Les harmonies et les fanfares qui, il y a peu de temps encore, étaient au rendez-vous des fêtes et célébrations, sont un héritage de cette démocratisation de la musique.

À côté des marches, hymnes, chants patriotiques et autres musiques de circonstance, tous les genres et formes musicales respireront cet air nouveau, même là où le pouvoir absolu est encore bien en place, comme dans l’Autriche de Haydn et de Mozart. Au détour d’un trio, d’un opéra ou d’une symphonie surgiront ici un hymne à la fraternité, là un chant de révolte ou encore une marche joyeuse. Certaines de ces pages musicales auront même droit à plusieurs vies au fil de l’histoire : ainsi la Neuvième de Beethoven à sa création choquait certains esthètes par son mélange de religiosité et de profane mais fut accueillie ensuite comme porteuse d’un idéal de fraternité ; la Troisième République l’imposa même dans toutes les écoles bien avant que l’Europe n’ en fasse son hymne. Sans oublier son immense succès au Japon où elle accompagne immanquablement les fêtes de fin d’année, faisant même l’objet à Osaka d’une interprétation annuelle monumentale. Si ces musiques ont pu être à la fois les reflets et les ferments actifs de changements sociaux et historiques, elles semblent aujourd’hui avoir perdu leurs aiguillons ; derrière une musique désormais inoffensive, on a peine à reconnaitre le spectre d’une époque où la fête ne se bornait pas à faire tourner les têtes mais les faisait tomber aussi.

Jacques Ledune