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De Pretto ǀ L’élégance des bâtards

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musique, poésie, homosexualité, album, Spleen, Eddy de Pretto

publié le par Jean-Jacques Goffinon

Après Cure, le succès d’un premier album coup de poing, inétiquetable, Eddy de Pretto, bien conscient des attentes au tournant, revient avec 15 titres, s’amusant à nous déconcerter.

Tenant bien en laisse les rages viscérales qui avaient précédemment présidé à son écriture, sans pour autant délaisser l’encre absolue et impudique qui le caractérise, À tous les bâtards est un album calme, mélodique, laissant briller l’infinie élégance d’un discours intime sur des marges qui n’ont pas de murs.

La beauté des failles

« Le teint marbré », dit-il, la gueule ginger étrange, mais la voix claire, dans ce deuxième album, Eddy de Pretto se fait l’étendard de la différence qu’on rejette. La sienne, entre autres. Chez lui, cette différence ne porte pas de nom. Elle est celle des cabossés qu’on a toujours mis au bord du monde pour quelque raison que ce soit, de la cour d’école à la société civile et dont les vies hors norme et les heurts accumulés ont fini par créer une beauté malheureuse d’une richesse sans pareille, propice aux devenirs. La beauté des petites souffrances martelées explose dans un spleen moderne qui rend les visages originaux. Et cet album en est rempli. Que ce soit dans « Bateaux-mouches » — souvenirs tel un « Je me voyais déjà » —, dans les remarquables « La Fronde », «À quoi bon » ou encore « Rose Tati », les figures qu’il dessine sont singulières et son fusain claque, beau, pour célébrer un festival de cœurs balafrés. Ses maux aux registres pluriels alignent, ici, un paradoxe évident, là, des contradictions énergiques. C’est la poésie remarquable d’un jeune homme moderne qui a réussi à s’accorder avec ses stigmates. Une poésie dont il est le seul maître.

Contritions positives

Sans inviter personne à le suivre, l’artiste jusqu’au-boutiste n’a jamais fait l’économie de son vécu, peu importe les blessures. Il faut parfois descendre bas pour monter haut, et vivre fort inclut d’en payer le prix. Il n’est pas du genre à réduire ses contritions ni à supprimer les images coupables de son journal intime. Il n’a honte de rien, car tout est histoire constructive. Lui qui n’avait pas rechigné à exposer son propre chaos, narrant sa descente aux chambres noires, aux after sans lendemain, poisseux d’alcool et de drogue, de sexes faciles et de fatigues en nage, n’est pas seulement le garçon de « La Fête de trop ». Aujourd’hui, il confirme avec « Freaks » ou « Tout vivre », le titre qui clôt cet album acéré, qu’il cache de « l’or dans son Moleskine », un or tendre et écorché dont il serait stupide de se priver.

« Freaks » - E.d.P.

Tu verras, j'peux faire de grandes choses avec mon spleen
Pas besoin de faire comme tous ceux qui se confondent
J'ai de l'or dans mon Moleskine
À refaire, je ne serai pas celui qui se plie pour tenter d'plaire
Je serai celui hors des critères, qui choisit son temps
À refaire, je serai plutôt celui qui s'met en avant et fier
Ce qu'on a pas voulu faire de lui,
qui s'est trop longtemps laissé taire

Une tonalité gay dans la polyphonie… rien de plus.

Depuis mars 2018, avec son édifiant et sanguin titre « Normal », il rappe son homosexualité et l’expose comme une chose acquise dont il n’y a pas à faire de controverse. Si cela pose problème à quelqu’un, c’est bien le problème de ce quelqu’un, pas celui d’Eddy. Par ce biais, il renverse les rapports, assenant un coup de griffe au visage d’un machisme hétéro rutilant parfois accusateur. Et si la cible de sa séduction était, cette fois n’est pas coutume, l’hétéro en face de lui ? Et si, avec son seul aplomb, Eddy imposait une virilité plus lourde et entêtée ? Le clip, quant à lui, ne faisait que surenchérir sur les mots, entrant en training au centre d’un ring musical improvisé, n’affichant aucun cliché et balançant ses vérités tranchées comme ses intentions. Tout est dit, et aujourd’hui avec À Tous les bâtards, la thématique gay est devenue moins obligée, parsemée au gré des morceaux lorsqu’elle est nécessaire ou d’évidence.

Ayant refusé à maintes reprises de devenir la figure de proue de l’une ou l’autre association LGBTQ+, il n’est ni militant ni revendicatif. Quand on le questionne autour de ses albums, il aime savoir que son discours est entendu avec raison comme une voix parmi la multitude et au même titre que cette multitude. Bref, Eddy de Pretto est. Sans artifices.

Jean-Jacques Goffinon