Des heures dans les arbres - "In the Shadow of Trees" au Hangar
Lorsque le peintre bruxellois Adolphe Lacomblé au début du siècle précédent tirait le portrait des arbres de sa région, il était loin d’imaginer la charge politique que son sujet allait prendre plus tard. Aujourd’hui le sujet n’est plus aussi anodin, ni innocent ; il est à présent associé à des thématiques plus graves et plus globales comme la déforestation, le réchauffement climatique, la constante destruction des derniers espaces vierges, les inégalités sociales et économiques entre le nord et le sud de la planète.
Autrefois impressionnant par sa stature, sa puissance, sa résilience, l’arbre est devenu une espèce en danger. Jadis évoqué comme le témoin d’un éternel recommencement, d’une renaissance perpétuelle à travers le cycle des saisons, il est menacé de toute part. Les plus grandes forêts du globe, depuis celle de l’Amazonie à celle de Białowieża en Pologne, la dernière forêt primaire d’Europe, sont érodées par l’exploitation qui grignote chaque jour des hectares de territoire irremplaçable. L’industrie du transport aérien et du tourisme a bien inventé le concept hypocrite de « planter des arbres pour se faire pardonner ses émissions de CO2 », mais l’impact réel de cette compensation est minimal, son application pratique difficile et limitée, et ne concerne par définition que de « jeunes arbres ». En comparaison, on estime qu’Old Tjikko, un arbre célèbre du parc Fulufjället en Suède que Nicolai Howalt a photographié, est âgé d’environ 9550 ans.
Une part de l’exposition, qui rassemble les travaux de plus de vingt photographes, est consacrée à ces « vieux arbres », des arbres historiques, multi-centenaires, comme ceux photographiés par Howalt ou par Beth Moon pour son projet Ancient trees (1999-2013). Une autre partie s’intéresse aux forêts dans leur ensemble, rappelant que les arbres sont reliés par un même écosystème et communiquent à travers leurs racines. Ici encore l’importance du vieux peuplement (old growth) et de son implantation en très grande profondeur, est en contraste flagrant avec les tentatives de régénérations artificielles. Jelle Brandt Corstius et Jeroen Toirkens ont ainsi silloné le réseau des forêts boréales à travers l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord, tandis que Persijn Broersen et Margit Lukacs filmaient Białowieża, Edward Burtynsky l’Ontario ou Jaakko Kahilaniemi les 100 hectares de forêt finlandaise dont il a hérité.
Déplacé en milieu urbain, l’arbre raconte une toute autre histoire, comme le montrent les arbres de New-York photographiés par Mitch Epstein, ou les arbres abandonnés de Séoul, décharnés, déchirants, documentés par Kim Jungman pour sa magnifique série Street of Broken Hearts. Olaf Otto Becker explore de même, avec Reading the lanscape, l’Indonésie et la Malaisie à travers la nature de ses forêts encore intactes, mais également à travers la nature artificielle des villes.
L’élément humain est à son tour central dans Seeds of resistance, une cinquantaine de portraits que Pablo Albarenga a réalisés de militants écologistes d’Amérique du Sud, où les défenseurs de la forêt amazonienne périssent régulièrement sous les balles des mercenaires des compagnies minières et des consortiums agricoles. Arguiñe Escandón et Yann Gross ont eux aussi documenté la région dans Aya, à la recherche de ses habitants, de même qu’Enrique Ramírez, qui s’est ensuite rendu à Arles et à Calais, tandis que Terje Abusdal partait sur les traces des Finnois des forêts, qui pratiquent encore aujourd’hui la culture sur brulis dans la région de Finnskogen. Pascal Maître a lui consacré un photoreportage à l’étonnante tradition des Baobabs citernes du sud de Madagascar, qui sont évidés pour servir de réservoirs d’eau pendant la saison sèche.
L’arbre est non seulement le sujet mais aussi pour certains la matière première de la démarche artistique. Mustapha Azeroual, Eric Guglielmi, comme Arguiñe Escandón et Yann Gross, ont ainsi développé des techniques alternatives d’impression, de pressage de papier, ainsi que des pigments et des encres issus de la végétation, tandis que Bruno V.Roels a cherché à s’écarter de l’obsession du tirage parfait en multipliant les variations d’un même négatif.
L’exposition se conclut sur les travaux des trois lauréats du prix PhotoBrussels Festival : Benjamin Deroche, Yutao Gao et Kíra Krász.
On le voit, l’exposition est dense et la multiplicité des démarches présentées donne parfois à la visite un sentiment de zapping entre des histoires qui auraient mérité chacune un moment de concentration isolé. Mais cette diversité fait aussi la richesse de cette collection de projets, aussi fascinants comme propositions esthétiques que passionnants par leurs contextes documentaires.
(Benoit Deuxant)
L’exposition est présentée dans le cadre du PhotoBrussels festival qui se déroule jusqu'au 26 mars dans plus de trente lieux à travers la ville.
Plus d'informations et réservation au Hangar,
18 Place du Châtelain, 1050 Brussels
photo de bannière: Jaakko Kahilaniemi, Next Possible Victims (de la série 100 Hectares of Understanding, 2018 )