Divanhana – « Zavrzlama »
Le groupe joue de la musique traditionnelle dans des arrangements plus actuels, jazz et pop, urbains ou issus de la tradition des Balkans, en particulier la sevdalinka, un style de musique bosniaque, également populaire dans les pays limitrophes et caractérisé par un tempo lent et laissant une impression de mélancolie — c’est un peu le fado balkanique.
Les jeunes étudiants de l’académie de musique de Sarajevo ont fait bien du chemin depuis la création de l’ensemble en 2009 : concerts dans toute l’Europe (en Belgique lors du festival Balkan Trafik de 2015), six albums dont un en public et, tout récemment la consécration avec leur dernier opus considéré comme le « meilleur album du monde entier » par World Music Charts Europe.
Alors, quelle est cette production qui fait tant parler d’elle ? Zavrzlama (prononcer « Zaver-zlama ») signifie « enchevêtrements », terme choisi parce que les influences des diverses traditions, cultures, coutumes et religions se sont mélangées et interpénétrées pour cet album. Les instruments de l’Est et de l’Ouest et les rythmes des différents coins de la planète se sont également enchevêtrés pour arriver à ces onze morceaux qui mêlent également des textes joyeux, dramatiques, des paroles d’amour, de fêtes et de tristesse.
Réalisé au début de la pandémie, en février 2020, les divers titres ont été enrichis d’apports de musiciens provenant d’Argentine, de Suisse, de Macédoine du Nord, de Turquie, … Encore un emmêlement de notes venues de partout !
L’aventure Zavrzlama débute avec « Na Kušlatu se mahrama vihori », qui évoque une histoire dramatique dans la ville de Zvornic (1). Dans son rêve, une jeune femme hésite sur ce qu’elle voit, un marieur ou une fée. Son amant et elle portent la bague, sans doute vont-ils se marier. À Zvornik cependant, deux têtes sont tombées… Rêve ou réalité ?
Un accordéon tout en retenue imprime un rythme lent tandis que s’élève le chant magique de Šejla Grgić, soutenu peu de temps après par le violoncelle. La mélodie s’accompagne ensuite d’un rythme subtil qui la guide au sommet du morceau : la voix, quasi-irréelle, culmine, comme suspendue dans les airs. Enfin, on revient doucement sur terre avec un decrescendo qui semble ramener la paix dans le songe. La gamme joue sur sa septième note, de temps en en temps diminuée d’un demi-ton. On n’est pas si loin de l’univers de l’Ederlezi de Bregović ou du U Stambulu Na Bosforu de Dafne Kritharas.
Divanhana ne reste pas longtemps dans la nostalgie. Bien sûr, « Lola » raconte l’arrivée d’une jeune fille que les hommes prédestinent à enfanter d’un petit forestier et qui se retrouve seule à pleurer près de la colline. On pourrait la jouer tristounette et arracher des larmes aux auditeurs sensibles. Non, au contraire, après une intro champêtre tout en finesse (chant, guitare acoustique et petits oiseaux), le morceau s’emballe, saute, tournoie, virevolte, gonfle, se dégonfle et repart de plus belle : « Au village, tu auras un fils, allez, hop, hop, hop, hop, hop”.
Le festif « Ćilim », à la mode balkanique endiablée, et « Peno », rythmé par une guitare infatigable et sur lequel les solos de trompette et d’accordéon s’alternent avant la fanfare, ont préparé le terrain d’un joyeux kolo (2) (« Sarajčice hajdemo »), la danse y est légère, syncopée, un moment de bonheur et d’insouciance.
La tradition est représentée par deux chansons : la calme « Stade se cvijeće rosom kititi » (Les fleurs ont commencé à se parer de rosée) paraît un peu doucereuse dans son interprétation, surtout par rapport à la seconde « Oj curice » (Ah les filles) qui change de rythme constamment.
Et dans un jeu beaucoup plus contemporain, « Zova » dénoue le beau bric-à-brac et referme la porte de cet album riche et varié par une douce ballade optimiste, qui appelle au redressement du pays, s’ouvre aux arbres en fleurs, aux chemins qui guérissent, à des après-demain sauvages…
Zavrzlama […] représente nos rivières, leurs affluents et les ruisseaux qui bordent nos montagnes si hautes d'où l'on peut voir la planète entière. — Neven Tunjić (de Divanhana)
(1) Zvornik est une ville de la République serbe de Bosnie, tristement célèbre pour le massacre qui y a été perpétré entre 1992 et 1995.
(2) Le kolo est une danse et une musique typique de Bosnie, de Serbie et de Croatie qui s’apparente à la hora roumaine et au horo bulgare.
Lien Bandcamp : Divanhana - "Zavrzlama"