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Double-Bill au Mima – ABC, l’empire du X

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publié le par Benoit Deuxant

Découverte dans les caves et les greniers de l’ancien cinéma « pour adultes » ABC, une collection impressionnante de documents, d’affiches et de films, permet au MIMA et au cinéma NOVA de retracer les quarante ans d’activités de cette salle bruxelloise, et à travers elle, une partie de l’histoire du cinéma pornographique en Belgique.

Sommaire

Le cinéma pornographique, imaginé comme le visionnement de longs-métrages, dans une salle, avec un public, est un concept qui a aujourd’hui quasiment disparu, remplacé par une consommation « privée » et isolée de films plus courts, souvent beaucoup plus explicites, et plus « hard ». Il est tentant de regarder en arrière avec nostalgie sur ce fonctionnement à l’ancienne, mais un simple parcours des archives de l’ABC montre que ce cinéma a de tout temps fonctionné sur une exploitation sans vergogne, et qu’à côté d’une minorité de films érotiques au contenu cinématographique respectable, la grande majorité du genre consiste en variations infinies sur les mêmes schémas réducteurs et « fonctionnels ». Le parcours de l’exposition présentée au Mima montre comment les exploitants de salles ont continuellement cherché à contourner la censure pour présenter les films les plus explicites possibles sous des justifications diverses, en contournant le flou des réglementations, ou en organisant des projections non-censurées, en dehors des heures d’ouverture officielles, ou en dernière séance de la journée.

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Une tentative de sauvetage

En 2013, les rumeurs qui circulaient se confirment : une des dernières salles de cinéma pornographique de Bruxelles va fermer ses portes. Fondé par George Scott, un entrepreneur ambitieux, l’ABC était installé depuis 1972 en plein centre-ville, au 147-49 du boulevard Adolphe Max, non loin de la place Rogier et de la rue neuve, quartier commerçant où se trouvaient autrefois de nombreux cinémas plus « grand public ». Pour les Bruxellois, la salle était là « depuis toujours » et sa vitrine défraîchie aux illustrations plus misérables qu’émoustillantes était une vision familière, qui intriguait les uns et en indignait d’autres. Sur le côté du fronton se trouvait le logo ABC, pour Association Belge de Cinéma, souvent pris pour la devise du cinéma « art, beauté, confort ».

L’équipe du cinéma Nova était très intéressée par une légende qui circulait à propos de l’ABC : ses caves seraient remplies du trésor de guerre de George Scott, une collection de centaines de films en format 35 mm qui le faisait vivre depuis des décennies. Après avoir pris contact avec lui, l’équipe a pu constater que cette information était exacte mais incomplète, non seulement cette collection était plus grande encore qu’on ne le supposait mais elle était accompagnée d’une énorme archive de documents et de matériel promotionnel, affiches originales, photos de presse ainsi que des calicots, les panneaux peints sur mesure pour la devanture du cinéma. Les bureaux de l’ABC avaient été remplis des caves aux greniers avec les archives et le stock des cinq sociétés administrées par George Scott depuis la fin des années 1940.

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Un accord a été trouvé et le cinéma Nova a pu acquérir l’entièreté de ce fond, que la Cinémathèque royale de Belgique abrite aujourd’hui. Le bâtiment lui-même n’a pas pu être racheté et il a fallu en quelques semaines déménager bobines, archives et affiches, avant que les repreneurs ne démolissent les dernières traces de l’ancienne activité de l’immeuble. Le dépouillement de tous ces documents a permis de retracer le parcours de George Scott et l’histoire de son empire. D’origine polonaise et américaine, il s’installe à Bruxelles en 1948 et reprend avec son épouse l’exploitation de deux salles de cinéma, l’American (rue du Pont-Neuf) et le Paris (Boulevard Adolphe Max). Très vite, il va donner à ces salles une réputation sulfureuse. S’il n’est pas encore à cette époque question de pornographie, plusieurs des films diffusés vaudront malgré tout à l’exploitant des poursuites régulières pour outrage aux bonnes mœurs.

Atlantic films – la naissance d’un empire

Le basculement dans le X se fera dans les années 1960 et 1970 durant lesquelles George Scott monte plusieurs sociétés de distribution, obtenant les droits de diffusion de centaines de films pornographiques et autres auprès de producteurs internationaux. Il étend alors également son réseau en ouvrant des salles à Anvers (le Plaza), à Bruxelles (l’ABC), à Liège (un autre ABC), à Gand (un troisième ABC). Son stock grandissant fera ainsi le tour de la Belgique pour être rentabilisé au maximum. La société Atlantic, le groupe à la gestion familiale fondé par Scott, sa femme et ses enfants, gère alors quasi en circuit fermé la totalité de l’exploitation de ces films. Progressivement les achats vont ralentir et le groupe va pouvoir fonctionner sur son stock, masquant l’absence de nouveaux films en diffusant les anciens sous des noms fictifs, changeant à chaque projection. Certains ont ainsi été joués sous des dizaines de titres différents, avec des réalisateurs et un casting inventés de toute pièce. Seuls les « carnets secrets » de l’exploitant, véritables pierre de Rosette découvertes dans les archives, peuvent détricoter le montage complexe de l’opération, et retracer les multiples incarnations des différents films.

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Déclin et chute – la concurrence de la vidéo

Durant les années 1980, les salles de cinéma « pour adultes » sont sur le déclin. L’arrivée du magnétoscope et de la VHS va permettre une autre forme de consommation de la pornographie, en mode privé cette fois. Cette formule attirait d’autant plus le public que les films étaient ici disponibles dans des versions non-censurées. Beaucoup de salles vont alors disparaître, faute de pouvoir se renouveler. Certaines vont tenter de s’adapter, en diffusant paradoxalement des copies vidéo des films, mais l’ABC choisira de faire exactement le contraire et de revendiquer haut et fort son attachement aux films sur pellicule 35mm. Cet étrange appel à la cinéphilie et au bon goût de l’amateur éclairé était en grande partie dicté par un raisonnement calculateur. Plus qu’un réflexe de puriste, il s’agissait surtout de recouper les frais en se reposant sur l’énorme stock de films dont disposait la société, et en évitant de devoir investir dans d’autres formats, ce qui aurait demandé non seulement l’achat de nouveaux films mais aussi d’un nouveau matériel de projection.

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Tous ces efforts ne suffiront toutefois pas et il faudra par la suite trouver d’autres exclusivités comme les « spectacles vivants », des numéros de strip-tease présentés entre chaque film. Les danseuses (parfois en duo avec un partenaire masculin) sont, dans un premier temps en tout cas, des artistes internationales que George Scott fera tourner à travers toutes ses salles. Chacune se produira ainsi jusqu’à une dizaine de fois par jours lors du changement de film. Le cinéma fonctionne à ce moment sur le principe de deux films différents par semaine qui alternent tout au long de la journée, en continu de midi à minuit. Signe du dépérissement en cours, les titres ne sont plus annoncés à l’avance comme autrefois, et les affiches présentées en vitrines ne correspondent souvent plus à rien. Mais cela ne change semble-t-il pas grand-chose pour les spectateurs, peu leur importe le film qui est présenté ce jour-là. D’autant qu’au fil du temps le public de la salle a changé et le cinéma est devenu avant tout un lieu de rendez-vous. Les femmes seules étant interdites d’entrée à l’ABC, en partie pour éviter le risque de prostitution, c’est un public essentiellement masculin qui fréquente les lieux et l’endroit va devenir progressivement une adresse de rencontres homosexuelles, malgré la programmation strictement hétéro à l’écran.

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Un répertoire spécialisé

A travers son existence le cinéma ABC a programmé un certain nombre de types de films pornographiques mais il s’est cantonné à plusieurs niches particulières. Le fait de tourner avec un stock limité, même si important en quantité, a fait que le circuit de George Scott, depuis ses sociétés de distribution jusqu’à ses différents cinémas, a exploité un répertoire figé dans le temps, représentatif d’une période bien précise de l’histoire du genre. Comme une capsule temporelle, ce répertoire témoigne d’une époque, dont il repoussait les limites et bousculait la morale. Même si le cinéma pornographique a pu constituer une remise en question des mentalités figées de l’après-guerre en matière de sexualité, et a pu sembler faire partie d’un mouvement plus global de libération des mœurs, il faut aujourd’hui constater que le contenu de la grande majorité des films de l’ABC perpétuait les stéréotypes phallocratiques de domination masculine, de racisme, déguisant à peine une fascination pour le viol et la violence faite aux femmes.

Seuls un petit nombre de réalisateurs ont utilisé le médium du cinéma érotique pour dépasser ces clichés en proposant d’autres visions, plus progressistes, plus libres, de la sexualité, ouvertes à d’autres formes de relations, à d‘autres pratiques. La plupart suivaient les mêmes schémas scénaristiques prévisibles, variant simplement le décor et les prétextes invoqués pour l’arrivée au but. Quelques-uns traitaient leur sujet sur un mode humoristique un peu désuet, un peu ringard. D’autres poursuivaient un film culte par une série de suites de plus en plus décevantes. Tous étaient assez rigoureusement hétéros et exempts d’autres orientations sexuelles. Les seuls cas où ces pratiques différentes étaient abordées, c’était sous la forme de films provocateurs, comme les films de la série « mondo », qui présentaient sous forme de reportage choc les formes de « déviances » s’écartant de la morale du temps. Un autre détournement était les faux films d’éducation sexuelle, au contenu didactique fort discutable. Mais ces rares exceptions mises à part, le quotidien de l’ABC était plutôt uniforme, quelles que soient les origines du film. La société Atlantic distribuait principalement des films américains (grâce aux contacts de Scott avec son pays d’origine), allemands et scandinaves - les films français étaient eux la spécialité d’une firme concurrente. Jusqu'aux années 1990, tous étaient au regard de ce qui est aujourd’hui disponible relativement soft.

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Les scènes manquantes

Ce choix d’un cinéma érotique soft était tout sauf une question de pudeur. C’était au contraire le résultat de la censure, et surtout de l’auto-censure, qui touchait le genre à cette époque. La censure n’est officiellement pas pratiquée en Belgique, les réglementations permettant seulement l’interdiction aux mineurs d’âge. Certaines notions floues et subjectives comme l’ « outrage aux bonnes mœurs » ont toutefois régulièrement été invoquées pour interdire, totalement ou en partie, certains films jugés par les magistrats comme dépassant les limites acceptables. L’habitude s’est alors instaurée de mutiler les films en les amputant des scènes trop « hard », en se limitant parfois à quelques images mais en allant parfois jusqu’à enlever un tiers de la durée d’origine. Les scènes coupées étaient conservées, peut-être pour être réintroduite un jour, plus tard, dans la continuité. Une compilation de ces séquences sera diffusée en décembre au cinéma Nova, et un montage est déjà visible dans l'installation de Gogolplex qui clôture la visite. Une même auto-censure touchait également la vitrine du cinéma et les photos promotionnelles qui y étaient affichées. Un jeu s’est alors installé entre les autorités et le personnel de la salle qui cherchait à exposer les images les plus attirantes et les plus explicites tout en les masquant « subtilement » avec des retouches de feutres ou de papier adhésif parfois plus suggestives que les photos elles-mêmes.

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Ces photos censurées, conservées dans les archives découvertes par l’équipe du cinéma Nova, constituent une étrange œuvre quasi artistique et ont donné lieu à une publication intitulée Superpositions, recueil des meilleurs exemples de cette étonnante forme d’art involontaire. Un panneau du musée leur est bien sûr également consacré. L’exposition se conclut sur une installation du collectif Gogolplex, qui a recréé le balcon du cinéma, avec ses sièges, la cabine de projection, les spectateurs et un programme permanent évoquant les activités de l’ABC. En marge de l’exposition, des rebonds sont également prévus une fois par mois dans la programmation du cinéma Nova, avec entre autres une soirée consacrée au cinéaste iconoclaste Jean-Pierre Bouyxou, ou encore une séance consacrée au sous-genre « l’artiste et son modèle » avec projection de films et cours de dessin avec modèles vivants.

(Benoit Deuxant)

Double Bill vous propose un ticket d’entrée pour deux expos, d’un côté “ The Art of Laurent Durieux “ présentant les affiches réinventées et le rève hollywoodien de Laurent Durieux, et de l’autre, “The ABC of Porn Cinema”, 40 d’archives exceptionnelles d’un cinéma pornographique bruxellois : l’ABC.

L'exposition est visible au Mima jusqu'au 9 janvier 2022. The ABC of Porn Cinema a été réalisé par Tatiana Bohm, Philippe Branckaert, Lauren Glaçon et Laurent Tenzer, avec le concours de Gogolplex, en collaboration avec le Mima.

MIMA museum

39-41, Quai du Hainaut
1080 Brussels, Belgium

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Le programme consacré à l'ABC au cinéma Nova se trouve ici.

Le livre Superpositions est disponible au Mima et au cinéma Nova.

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