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Dulce Pinzón au Palais de Tokyo: un diorama du baiser

Dulce Pinzon - Diorama - Palais de Tokyo

art, musée, art contemporain, Nature Culture, Paris, Palais de Tokyo, diorama, Dulce Pinzon, Mark Dion

publié le par Pierre Hemptinne

Les musées ont inventé le diorama pour mettre en scène la nature selon le regard de l’homme. Des cages de verre où les visiteurs contemplaient des paysages, des animaux, des plantes, des contextes de vie.

Ce dispositif, surtout, instituait le regard de l’homme, comme extérieur, comme regard sur.

À voir au Palais de Tokyo, l’artiste mexicaine Dulce Pinzón développe une œuvre autant critique que joyeuse sur les imageries populaires et les stéréotypes. Pour souligner à quel point la culture du diorama a institué le regard humain sur la nature, pour éviter qu’il ne devienne un regard dans la nature, partie prenante du vivant au même titre que les autres espèces, en interaction avec les autres éléments du paysage plutôt qu’en exploitant dominateur, elle invente des dioramas inversés. Celui que l’on peut voir dans l’exposition Diorama au palais de Tokyo est savoureux. D’ailleurs, au début, il est possible que l’on ne perçoive pas tout de suite l’astuce, le décalage. Car ce que l’on est habitué à voir dans un diorama conventionnel, indépendamment de ce qu’il met en scène, c’est la place de l’humain au centre de toute la nature. Et ici, aussi, justement, un couple d’humains est au centre. Dans la cage de verre. Mais, voyons, quelles sont ces silhouettes à l’avant-plan ? Ce sont celles d’animaux, tiens, en train de visiter leur musée et de contempler l’intérieur de dioramas où ils apprennent comment vivent les humains. Mais les antilopes et mouflons face au couple en train de s’embrasser, ne s’intéressent pas qu’aux usages amoureux des humains. A travers cette étreinte, c’est aussi toute une représentation que l’homme se fait de la nature qui est transcendée. Ainsi, la grande peinture du fond – élément indispensable du diorama – reflète à merveille l’histoire du regard esthétique sur les espaces vierges et sauvage de la montagne, vides, n’attendant que l’homme et ses aspirations à l’élévation. Le couple moderne, jeune, et bien qu’étranger probablement à cet historique du paysage, est traversé par cette esthétique du sublime. Là où leurs lèvres se rejoignent pour s’unir, un halo de soleil les aveugle et les illumine, une sorte de bénédiction. Le coup de foudre. Une fois de plus, l’humain et ses amours n’est pas représenté dans le paysage, mais avec le paysage, comme posé dans un décor dont il perçoit les charmes et vibrations à la manière d’un mystère, qui amplifie ses émotions personnelles, mais avec lesquelles il évite de trop se mêler. Le dispositif muséal inversé ne laisse d’ailleurs aucun doute : la vraie vie, le vivant dans toute sa réalité et complexité est du côté de ceux et celles qui regardent l’imagerie artificielle. Ces animaux dans l’ombre qui défilent devant la cage, scrutant l’homme en ses bulles et fictions.

L’exposition Dioramas est une plongée enchanteresse et inquiétante dans l’univers de ces muséographies savantes et fantasmatiques à la fois. Bien de ces réalisations, si l’on doit questionner les biais qu’elles ont induits quant aux relations au monde, à l’environnement, n’en restent pas moins fascinantes à regarder. Et l’intervention de Dulce Pinzón n’est pas la seule à détourner le dispositif. Ainsi, Mark Dion, connu pour son travail sur les cabinets de curiosité et l’élaboration des discours savants, est présent avec Paris Streetscape. C’est un cabinet de curiosité, moderne, actuel, destiné lui aussi à formaliser de nouvelles connaissances sur l’état du monde. Ce qui est accumulé dans cette vitrine provient des poubelles d’une grande ville et de l’écosystème qu’elles génèrent, devenant un monde en soi généré par la société de consommation.


Pierre Hemptinne



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