EAR YOU ARE - festival d'art sonore et radiophonique
La création sonore et radiophonique a mis quelques années à s'imposer comme un genre en soi. En marge du théâtre, de la musique, de l'écriture, elle utilise des éléments de chacun, tout en les transformant en une pratique et un art farouchement indépendants. Nous avons posé quelques questions à Carmelo Iannuzzo, directeur de l’ACSR, l'atelier de création radiophonique qui organise ce festival.
- PointCulture : Il y a dans le programme une très grande diversité de propositions, des écoutes, des performances, des ateliers, des installations. Quelles sont les grandes lignes du festival ?
- Carmelo Iannuzzo : La programmation de cette édition n’a pas voulu se décliner autour d’une thématique particulière, si ce n’est l’ode à l’écoute et à l’immersion sonore et le partage de cette passion qui lie intrinsèquement tous les artistes présents.
Pour l’atelier de création sonore radiophonique, qui accompagne les artistes dans leur projet, dès la conception jusqu'à l’aide à la diffusion, le moment du festival se veut un grand rendez-vous festif, mettant à l’honneur des autrices et auteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles, avec quelques invité·e·s internationaux, mais également un moment de découverte, avec des créations inédites, des cartes blanches pour les séances d’écoute et beaucoup de performances live qui montrent la création sonore en train de se faire en direct.
La nouveauté de cette édition est un focus sur la création pour jeunes public, en partenariat avec l’Écoute Buissonière (collectif francophone cofondé par l’ACSR, L’Armada Productions (France), La puce à l’oreille (Canada) et Syntone (France), et auquel participe également l’émission La Pause Goûter (Jet FM, France)) et le Théâtre La montagne magique (espace bruxellois dédié à la scène pour jeune public). Ce festival voudrait enclencher un vrai développement de la production pour jeune public pour les années à venir.
- Est-ce qu’il y a une différence entre la création sonore et la création radiophonique ?
Deux notions qui cherchent à se redéfinir aujourd’hui avec la révolution numérique et l’usage de nouveaux médias qui redonnent une place privilégiée au sonore.
La création sonore englobe a priori non seulement la création radiophonique, mais également la création musicale, les installations sonores, et qui peut se composer autant avec un travail visuel (photo, vidéo, animation, …), une œuvre théâtrale, … plus ou moins spatialisés dans et hors les murs, sur les ondes ou sur la toile du web.
La création radiophonique, dédiée historiquement au ‘broadcast’ et qui jouit aujourd’hui d’un engouement nouveau avec le ‘podcast’, est un art du récit et donc du temps. Les réalisateur·trice·s ne donnent aucun support visuel et s’adressent acousmatiquement à un public qu’ils ne voient pas. Tout documentaire, toute fiction ou d’autres créations sans parole reposent en radio sur ce premier contrat avec l’auditeur·trice. Un art dynamique plus que cinétique (si je reprends Pierre Schaeffer) qui exploite toute l’essence et la puissance de la parole, du son et du silence, et dont l’écriture laisse volontiers place à l’imaginaire, à l’immersion et l’ubiquité.
- L'ACSR existe depuis 1996 et avait pour point de départ une inquiétude devant la diminution de la création dans les instituts de radiodiffusion en Belgique francophone. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
- L'inquiétude s’est transformée en conviction. La situation est similaire, si pas pire sur l’offre programmatique des instituts de radiodiffusion. En revanche, ce qui a fort changé, ce sont les membres de l’ACSR : ce sont aujourd’hui des jeunes artistes, autrices et auteurs, né·e·s hors des murs de ces institutions, puisque ces dernières n’engagent plus de réalisatrices et réalisateurs. Et grâce à l’existence du Fonds d’Aide à la Création Radiophonique (fondamental et précieux, tel l’aide à la création théâtrale, cinématographique), grâce à une culture de la radio qui existe encore sur les radios à vocation socio-culturelle, sur les ondes françaises, et sur le web aujourd’hui, il existe une jeune génération qui participe, en Fédération Wallonie-Bruxelles, au développement d’une production indépendante dont la qualité et la richesse sont reconnues internationalement. Un modèle que d’autres pays (comme la France) sont en train d’analyser, constatant a fortiori la pertinence et l’intérêt de créer un fonds similaire pour le soutien à la création sonore.
- Alors qu’on a l’impression que la radio traditionnelle est en perte de vitesse, d’autres formes d’écoute sont en train de prendre le relai : les podcasts, les émissions en ligne, etc. Est-ce qu’il y a un changement dans l’écoute ? Est-ce qu’il y a un nouveau public pour la création sonore ?
- L'arrivée de nouveaux médias débouche sur de nouveaux modes de consommation, et, par conséquent, sur de nouveaux contenus et de nouveaux modes d’éditorialisation. Le nombre d’éditeurs sonores et de plateformes se multiplie. Les formats de durée et de genre, propres à la radio traditionnelle, éclatent et laissent place à des objets hybrides… Les artistes y trouvent un espace de liberté, fondamental pour la création.
Le podcast propose une offre non-linéaire et en différé, et l’auditeur devient proconsommateur. Il s’abonne, sélectionne, compose sa programmation et il écoute tel contenu selon le moment choisi et le contexte d’écoute approprié. Il peut commencer un bout du programme et le poursuivre plus tard.
En France et en Belgique, cette révolution a remis à l’honneur les émissions de contenu, bien souvent placées à des mauvaises heures d’audience sur la grille linéaire des radios hertziennes. L’écoute de créations sonores devient possible sur les mêmes modes de consommation que le livre, l’article de fond, l’album de musique ou qu’un film ou une série. De plus, en gardant l’une des spécificités de la radio, on peut l’écouter en faisant autre chose.
Le podcast, telles les émissions de contenu ou à plus grande valeur créative, ne trouve pas son public sur l’immédiateté et l’actualité mais sur la composition d’un catalogue (d’une série) qui peut faire communauté au sens culturel du terme. Et il y a effectivement une communauté de plus en plus importante qui adore la création sonore, comme l’ancienne génération adorait les histoires, les livres audio, les dramatiques, les longs documentaires-fleuves en K7, sur disque 45 tours, etc.
Propos recueillis par Benoit Deuxant
Du mercredi 4 au dimanche 8 décembre 2019
Cinq lieux bruxellois :
au Cinéma Nova,
à La Maison européenne des auteurs et autrices,
au Théâtre La Montagne magique,
au Théâtre Poème 2
et à l’Hectolitre
Le programme complet se trouve ici.
Les productions de l'ACSR dans les collections de PointCulture
La création radiophonique (tous producteurs confondus) dans les mêmes collections